A propos du roman "La maison des sept jeunes filles" et son adaptation au cinéma
SIMENON SIMENON. SETTE RAGAZZE, DI CAEN A FONTENAY
Si tratta del romanzo "La maison des sept jeunes filles" e il suo adattamento al cinema
SIMENON SIMENON. SEVEN GIRLS FROM CAEN TO FONTENAY
About the novel "La maison des sept jeunes filles" and its adaptation to cinema
Rédigé au début novembre 1937 à Neuilly, entre deux escapades de Simenon (Port-en-Bessin où il écrit La Marie du port et Saint-Thibault-sur-Loire où il rédige Les sœurs Lacroix), La maison des sept jeunes filles est un roman moins connu de l'auteur, sans doute parce qu'on ne peut pas le classer parmi ses chefs-d'œuvre. Ce n'est pas véritablement un "roman dur", le sujet est plutôt léger, et si certaines scènes tendent vers le dramatique, le tout est assez superficiel, mais il n'en reste pas moins agréable à lire. Au départ, le roman devait paraître dans la "Collection du Bonheur" (ou "romans pour jeunes filles") de Gallimard, ce qui en dit long sur son genre… Assouline, qui trouve ce livre "assez niais, pour ne pas dire pire", raconte que Simenon y était attaché, mais qu'il reconnaissait l'avoir écrit pour "des raisons budgétaires", et qu'il ne le plaçait pas au même rang que ses autres romans.
La trame porte sur un professeur d'histoire à Caen, qui a sept filles, âgées de seize à vingt-sept ans, et qui, à cause d'ennuis financiers, se voit contraint de marier une de ses filles à son créancier, âgé de soixante ans. Autour des filles tourne aussi un jeune homme riche mais plutôt timide, qui n'arrive pas à se décider. C'est finalement Colette, la plus jeune des filles, mais aussi la plus entreprenante et celle qui montre le plus de personnalité, qui réussit à faire avouer à Gérard que c'est d'elle qu'il est vraiment amoureux. Et, comme dans les bons romans à l'eau de rose, tout est bien qui finit bien: Gérard épouse Colette, ce qui permet de rembourser le créancier.
Le roman est publié en préoriginale en 1938 dans le journal "Votre Bonheur", et peut-être n'aurait-il pas connu d'autre fortune si le cinéma ne s'en était emparé… En effet, un producteur achète immédiatement les droits du roman, dans le but de confier le rôle principal à Danielle Darrieux, une des grandes vedettes du moment. Mais l'arrivée de la guerre va retarder le projet, et ce n'est qu'en octobre 1941 que le tournage commence vraiment, sous la direction du metteur en scène Albert Valentin. A l'affiche, plus de Darrieux, mais on veut donner leur chance à sept actrices débutantes. Parmi celles-ci, le rôle principal (Colette) est confié à Jacqueline Bouvier, future épouse de Marcel Pagnol, ami de Simenon. Jacqueline Pagnol sera plus tard la marraine de Marie-Jo Simenon.
L'histoire du cinéma ne retient pas grand-chose de ce film, qui est à l'image du roman: un divertissement bienvenu en ce temps de guerre. Ce qui nous intéresse ici, c'est le rapport entre ce film et la biographie de Simenon. En effet, en janvier 1942, Simenon, qui joue au châtelain à Fontenay-le-Comte, réussit un de ses "coups de pub" dont il a le secret: il a pu avoir une copie du film en avant-première (le film ne sortira qu'en février à Paris). Au Ciné-Palace, rue de la République, le tout-Fontenay se presse; les vedettes du film sont également présentes, et Simenon fait une entrée remarquée, avec à son bras la "célébrité locale", une poissonnière surnommée Titine, "pittoresque, plantureuse et truculente", comme la décrit Assouline. La projection est suivie d'une fête de charité au profit des prisonniers de guerre, avec vente aux enchères, puis d'un cocktail en présence des autorités allemandes, et enfin d'un dîner au château de Terre-Neuve pour les amis parisiens de Simenon. Bien sûr, il s'en trouvera pour estimer que cette "manifestation" était, au mieux, ridicule, et au pire, suspecte sur les relations du romancier avec les autorités en place… Quant au film, après sa sortie à Paris, il s'attira quelques critiques, plus ou moins positives: "L'histoire est soigneuse, honnête, un peu lourde, avec des départs qui retombent" écrivait le chroniqueur du journal Comoedia.
Entre temps, le roman lui-même avait été publié, et on l'accueillait lui aussi comme un bonne distraction: dans un article du même journal, un critique écrivait: "c'est léger et pétillant comme une coupe de mousseux. Jamais Simenon n'a fait preuve de tant de fraîcheur." C'est probablement ce qu'on demandait en cette année 1942, de la fraîcheur plutôt que la noirceur d'un "roman dur", le temps étant à la recherche de l'oubli du pénible quotidien…
Murielle Wenger