sabato 24 novembre 2018

SIMENON SIMENON. LES ANCETRES DE MAIGRET

A propos de quelques personnages dont Simenon s'est servi pour créer son commissaire 

SIMENON SIMENON. GLI ANTENATI DI MAIGRET 
Su alcuni personaggi che Simenon ha usato per creare il suo commissario 

SIMENON SIMENON. MAIGRET'S ANCESTORS 
About a few characters that Simenon used to create his Chief Inspector 


«l'Ostrogoth avait besoin d'un recalfatage complet, de sorte que je dus conduire le bateau en cale sèche au bord du vieux canal. […] Le hasard me fit découvrir, à moitié échouée, au bord du canal, une vieille barge qui semblait n'appartenir à personne. […] Cette barge […] allait devenir le vrai berceau de Maigret. Pas tout de suite, cependant. […] Je me revois, par un matin ensoleillé, dans un café qui s'appelait, je crois, Le Pavillon, où le patron passait des heures, chaque jour, à polir ses tables de bois à l'aide d'huile de lin. […] Ai-je bu un, deux, ou même trois petits genièvres colorés de quelques gouttes de bitter? Toujours est-il qu'après une heure, un peu somnolent, je commençais à voir se dessiner la masse puissante et impassible d'un monsieur qui, me sembla-t-il, ferait un commissaire acceptable.» 
Telle est la légende, consacrée par le texte que Simenon écrivit en 1966 à l'occasion de l'érection de la statue de Maigret à Delfzijl, selon laquelle Maigret serait né ex nihilo alors que le romancier s'abreuvait au genièvre dans un café de Delfzijl…  
C'est une belle légende, et l'on ne peut que pardonner à Simenon, qui, en véritable raconteur d'histoires, nous fait imaginer cette silhouette du commissaire qui surgit ainsi dans une sorte de brume alcoolisée, auréolé déjà de la fumée de sa pipe. La création de Maigret fut en réalité une longue gestation, et pour en arriver à sculpter la masse impassible de son commissaire, le romancier eut à remettre plusieurs fois l'ouvrage sur le métier. D'une part, il y eut les quatre romans populaires, ceux qu'on appelle les «proto-Maigret», dans lesquels Simenon dessinait ce que Jean-Christophe Camus a appelé le «Maigret des cavernes», c'est-à-dire une ébauche du personnage, encore mal dégrossi et furtif dans le premier de ces quatre romans, et qui va devenir de plus en plus présent et semblable à lui-même dans les autres textes, jusqu'au quatrième, La Maison de l'inquiétude, roman auquel il manque peu pour qu'il ait pu appartenir à la saga officielle. 
Mais avant ce «Maigret préhistorique», il faut remonter plus loin dans le temps, et s'intéresser à d'autres esquisses, des personnages de policiers ou de détectives que Simenon a utilisés dans divers romans populaires, et qui lui ont servi de «moules d'essai», gardant de l'un et de l'autre des éléments qu'il pourrait réutiliser pour créer son commissaire. 
Parmi ces «ancêtres» de Maigret, on peut citer Anselme Torrès dans Nox l'insaisissable, signé Christian Brulls et paru en 1926 chez Ferenczi. Le duel qui oppose le bandit Nox au détective Torrès est manifestement inspiré de la relation entre Arsène Lupin et le commissaire Ganimard. Comme l'écrit Francis Lacassin, dans ce roman, «le héros, c'est le bandit, l'enquêteur lui servant de faire-valoir plus ou moins ridicule». Cependant, Torrès léguera à Maigret sa «volonté farouche» et sa «tranquille vaillance».  
Dans L'Amant sans nom, également signé Christian Brulls et paru chez Fayard en 1928, le héros est Yves Jarry, cet aventurier héritier d'Arsène Lupin et que Simenon a longtemps mis en balance avec Maigret, avant que celui-ci ne s'impose comme une figure davantage originale. Mais dans ce roman apparaît un policier, l'agent N. 49, qui est, selon Michel Lemoine, la «première préfiguration policière de Maigret»; en effet, la description de ce personnage évoque bien quelques traits caractéristiques de notre commissaire: «Un homme énorme et pesant. Des traits immobiles, épais. […] Un air buté aussi, têtu, obstiné.» Et de plus, il a toujours sa pipe entre les dents… 
En 1929 paraît chez Ferenczi La Victime, roman signé Georges-Martin Georges. Malgré qu'il soit classé comme «roman d'amour», on peut en retenir que l'inspecteur Jean Tavernier a une méthode de travail dont Maigret héritera: «quand il arrivait sur les lieux d'un drame, Tavernier, au lieu de s'en tenir à des observations matérielles, "reniflait" les lieux, comme il disait. […] Il prétendait que, pour reconstituer un drame, il faut avant tout essayer de vivre par la pensée dans la même atmosphère que les acteurs de ce drame. Se mettre à leur place, en somme !» 
Enfin, dans L'Homme à la cigarette, publié chez Tallandier en 1931 et signé Georges Sim, on va trouver une quatrième préfiguration de Maigret. L'inspecteur Boucheron, bien que physiquement plus proche de Sancette, l'autre grand «rival» du commissaire, a des méthodes qui évoque déjà celles de Maigret: se fier à son inspiration, ressentir physiquement le moment où une enquête prend un tournant, ou s'inspirer de l'odeur des lieux qu'il visite.  
D'autres détectives et policiers apparaissent dans les romans populaires de Simenon, et leur portrait servira souvent au romancier pour en brosser a contrario celui de Maigret, en rejetant tout ce qui n'était pas approprié à confectionner la silhouette du commissaire. 
On le voit, Maigret n'a pas surgi d'un seul coup, complètement préfabriqué, de la plume de Simenon, mais ce fut une longue période d'essais et erreurs qui présida à sa venue au monde. Il n'empêche que le romancier fit preuve d'originalité en créant ce personnage complètement atypique et en porte-à-faux sur les héros des romans policiers de l'époque, et qu'il eut l'intelligence de renoncer à des personnages qui, pour sympathiques qu'ils fussent comme Jarry ou Sancette, n'avaient pas cette touche d'originalité qui a fait le succès de Maigret… 

Murielle Wenger 

venerdì 23 novembre 2018

SIMENON SIMENON. AVRIL 1967: LE TOUR D'ITALIE DE SIMENON

Le romancier raconte ses souvenirs de ce séjour italien 

SIMENON SIMENON. APRILE 1967: IL GIRO D'ITALIA DI SIMENON 
Il romanziere racconta i suoi ricordi di questo soggiorno italiano 

SIMENON SIMENON. APRIL 1967: SIMENON'S TOUR OF ITALY 
The novelist recounts his memories of this Italian stay

En avril 1967, Simenon part en Italie à l'invitation de son éditeur et ami Arnoldo Mondadori. Celui-ci a lancé, l'année précédente, la publication de la collection Tutte le opere di Georges Simenon, et il pense qu'une bonne promotion pourrait aussi se faire avec la présence sur place du romancier himself… Laissons Simenon nous raconter son séjour, en puisant dans ses Mémoires intimes. 
«Ce séjour, ou plutôt ce tour d'Italie, qui durera quinze jours (du 16 au 27 avril, ndlr), je l'ai promis à Mondadori qui y préside. Mes romans Maigret se vendent là-bas «comme des petits pains». Quant aux autres, l'intelligentsia italienne a tendance à les bouder. Mondadori veut frapper un grand coup, organiser des conférences dans les universités et les centres culturels. Cette tournée, je tiens à le préciser, n'a rien de commercial. Pas de signatures dans les librairies ou les grands magasins […]. La tournée commence par Milan où je donne trois conférences coup sur coup. La première a lieu au très prestigieux Piccolo Teatro […]. J'y lis Le Roman de l'homme […]. Après quoi je me soumets aux questions qu'on me pose. […] La seconde conférence milanaise est au Centre culturel français, où je ne prononce que quelques phrases sur le roman, sur l'homme, les deux seuls sujets que je connaisse quelque peu, et je réponds ensuite de mon mieux aux questions […]. En somme, je copie le genre de «lecture» que j'ai donnée dans diverses universités des Etats-Unis. [La troisième conférence est] donnée dans le grand amphithéâtre de l'Université de Milan, qui est comble. Les étudiants ont tant de questions à me poser qu'après plus de deux heures, le recteur vient discrètement m'annoncer que l'amphithéâtre doit servir à une autre cérémonie et que des gens attendent dehors.» 
Après Milan, c'est d'abord Florence: «ma ville bien-aimée, où je dois, entre mes causeries, visiter les nouveaux locaux d'un journal important», puis Naples: «nous faisons un dîner merveilleux tandis que, dehors, la pluie tombe à pleins seaux. Conférence. Questions. Réponses. Reporters et photographes.», et ensuite Rome: «un dîner officiel est donné en mon honneur. Re-conférences. Journalistes et paparazzi.», et enfin Venise: «Conférence, grande réception ultra-mondaine, en habit, au palazzo Cini, où le comte Cini en personne m'accueille lorsque je débarque de sa gondole armoriée au pied des marches qui trempent dans le canal.» 
Quel bilan faire après cette tournée ? Le «grand coup» que Mondadori a voulu frapper a-t-il réussi ? Est-ce que les romans de Simenon, autres que les Maigret, se sont mieux vendus après cela ? Est-ce que le romancier a été mieux apprécié de «l'intelligentsia italienne» ? Ou est-ce quand même les romans du commissaire à la pipe qui ont continué avant tout à propager le succès de Simenon en Italie ? N'oublions pas que dans cette période de la fin des années 1960, c'est Gino Cervi qui continue à faire les beaux jours de la TV italienne dans le rôle du commissario Maigret 
On peut lire ici un compte-rendu de la conférence donnée à Milan: http://www.archiviolastampa.it/component/option,com_lastampa/task,search/mod,libera/action,viewer/Itemid,3/page,3/articleid,0114_01_1967_0091_0003_6736309/ 

By Simenon-Simenon 

SIMENON SIMENON. SONDAGGIO SU MAIGRET





giovedì 22 novembre 2018

SIMENON SIMENON. THE STEPS OF AN EVOLUTION

Another way to present the Maigret saga 

SIMENON SIMENON. I PASSI DI UNA EVOLUZIONE 
Un altro modo per presentare la serie di Maigret 

SIMENON SIMENON. LES ETAPES D'UNE EVOLUTION 
Une autre façon de présenter la saga de Maigret 

When a literary character appears in so many novels that they compose a true saga, you are driven to try to discern in it the steps of an evolution, as well in the way of writing as in the relationship between the author and his character.  
Usually the Maigret saga is presented according to three periods, corresponding to the three publishers of the original editions, even though this distribution is quite relative, for you can very well consider this saga as a continuum without gaps. After all, there hadn't really been any long period in which Simenon would have given up his hero: the last Maigret novel for Fayard was written in 1934, the first for Gallimard in 1939; meanwhile the novelist had written a collection of short stories with the Chief Inspector; the last Maigret novel for Gallimard was written in 1943, and the first for the Presses de la Cité in 1945. 
Each of these three periods had particular characteristics: the Fayard period showed the beginnings of a massive Chief Inspector, a silhouetted sketch, often seen from outside by his young author, who created an already mature man and older than himself. The Gallimard period is that of transition: the Maigret novels in this period were written as a way to escape the difficult war context and the novelist's health problems; their tone wagenerally lighter. When Maigret came back in the Presses de la Cité period, Simenon began another relationship with his character, giving him more psychological depth, memories, more important affective bonds (Mme Maigret and his inspectors were more present in the novels, and Dr Pardon appeared as a friendly relationship), and the novels got closer to the "romans durs".  
Yet we could propose another division within the saga by considering other criteria, with another point of view. A first period would comprise the Fayard and Gallimard novels together. It would be the pre-war period (with some novels written during the war, but historically, the cut was clearly in 1945, when people realized that after the events that had taken place, nothing would be like before anymore); Simenon described then a world contemporary to the writing: wearing his bowler hat, the Chief Inspector met the flappers of the Roaring Twenties and walked around in France such as the author had discovered it aboard his boat. With his new hero, the novelist wanted to enter "semi-literature" and he needed his character so to embark on a new form of writing, in the same way a tightrope walker needs a pendulum to balance on the wire… With Maigret he learned to dig into the characters depth, to describe a landscape, a setting, weather context, and to make the reader feel all that. 
Taken together the Fayard and Gallimard novels are twenty-five, and the novels published by the Presses de la Cité are fifty. If you share these Presses de la Cité novels into two groups of each twenty-five, you can see that the first group is for the main part that of the American period novels and the second group is that of the novels written in Switzerland.  
Thus, after the probation and implementation period (that of Fayard and Gallimard novels), there would be a first Presses de la Cité period, a peak period in which the author, having reconciled with his character, applied to give him expanded memories, recounting his beginnings as a policeman (Maigret's First Investigation) and his entry into literature (Maigret's Memoirs), and once counts settled down, he could tell new investigations, remembering, from far America, his pre-war Parisian experiences 
In the second Presses de la Cité period the relationship between the novelist and his character evolved: Simenon would more and more often lend his own interrogations to Maigret, who was questioning himself about justice, human responsibility, and also about aging and passing time. And the themes evoked in the Maigret novels tended to be the same as in the "romans durs", and the difference between the two types of novels became more and more tenuous. 
In short we can say that this other way of dividing the saga novels may interestingly show, rather than a three-step fracture, a kind of evolution in the relationship between a character and his author, who invented over time a new way of living with the hero who had made him famous, trying to adjust an ideal distancing between the creator and his creature… 

By Simenon-Simenon