A propos des lieux d’action dans les romans
SIMENON SIMENON. MAIGRET E IL COMMODORE AL COL DE LA SCHLUCHT
A proposito dei luoghi di azione nei romanzi
SIMENON SIMENON. MAIGRET AND THE COMMODORE AT THE COL DE LA SCHLUCHT
About the places of the plot in the novels
« [Simenon] se sent totalement étranger à la démarche d’un Zola photographiant les lieux de l’action, ou d’un Flaubert se livrant à des repérages. Il lui substituera toujours le lent travail de décantation de la mémoire » (Pierre Assouline, in Simenon).
Cette phrase du biographe résume bien cet aspect du travail du romancier, qui recrée, à plusieurs années d’intervalle, un décor qu’il a connu, pour le placer dans le cadre d’un roman. En effet, il est très rare que Simenon ait écrit sur les lieux mêmes où se déroule un roman, parce qu’il préférait s’abstraire de l’ambiance qu’il avait autour de lui pour se plonger dans l’atmosphère qu’il insufflait à son texte. D’où les rideaux tirés dans son bureau, pour ne pas voir le décor extérieur, le bureau devenant cette camera obscura où il allait peu à peu dérouler le film de son roman sur papier.
Il existe cependant quelques exceptions. Strip-tease, écrit à Cannes et dont l’action a lieu au même endroit ; de même que Le Port des brumes (Ouistreham), La Tête d’un homme (Paris), La Marie du port (Port-en-Bessin), La Jument-Perdue (Tucson), Maigret chez le coroner (Tucson), Le Fond de la bouteille (Tumacacori), ainsi que les nouvelles Monsieur Lundi (Neuilly), La Pipe de Maigret (Paris), Madame Quatre et ses enfants (Les Sables-d’Olonne).
Mais généralement, Simenon avait besoin d’une période de décantation pour faire revivre un lieu où il avait séjourné auparavant. Il écrivait sur un « principe de distanciation spatiale », comme le note Michel Carly. Le roman Les Rescapés du Télémaque, rédigé à Igls au Tyrol, se déroule à Fécamp. La préoriginale, dans le journal Le Petit Parisien, présentait un texte de Simenon, dans lequel il disait : « l’envie d’écrire un roman lourd de soleil ne m’est jamais venue qu’en Hollande, en Norvège, voire […] dans une petite île de l’océan Glacial, alors que j’avais faim de lumière chaude […]. De même, cet hiver, vivant au Tyrol […] ne voyant à perte de vue que des champs de neige éclatante, la nostalgie m’est venue d’autres hivers, inséparables pour moi de l’odeur du fil en six et du hareng grillé. J’aurais voulu débarquer à Fécamp, respirer […] la forte odeur du poisson salé […]. Il n’y eut qu’à fermer les persiennes et, près d’un gros poêle en faïence, à écrire Les Rescapés du « Télémaque ». […] Et tous les pins du Tyrol ne m’empêchaient pas de sentir la saumure. »
Les romans « rochelais » de Simenon ont été rédigés à Porquerolles (Le Testament Donadieu), Fontenay-le-Comte (Le Voyageur de la Toussaint), Saint Andrews au Canada (Le Clan des Ostendais), Tumacacori (Les Fantômes du chapelier)… Quant aux Sables-d’Olonne, on sent vivre la ville dans Le Fils Cardinaud (écrit à Fontenay) et dans Les Vacances de Maigret (écrit à Tucson). On pourrait multiplier les exemples à l’infini…
En dehors de Paris, le cadre le plus fréquent dans l’œuvre (une ville où pourtant Simenon n’a écrit presque aucun roman), certains lieux ont été privilégiés par le romancier. La Rochelle en particulier, mais aussi Fontenay-le-Comte, Liège, Bruxelles, Cannes, Caen, Fécamp, Concarneau, etc. Ce qui fait qu’on pourrait imaginer que des personnages, d’un roman à l’autre, auraient pu se rencontrer au même endroit dans la même ville… Ainsi, comme le remarquent Michel Carly et Christian Libens dans leur ouvrage La Belgique de Simenon, Elie Nagéar (Le Locataire), Michel Maudet (L’Aîné des Ferchaux) et Maigret (dans la nouvelle Peine de mort) sont tous les trois descendus au Palace à Bruxelles. Et plus d’une fois, les lieux d’action se répondent entre les romans de la saga de Maigret et les romans durs. Dans L’Affaire Saint-Fiacre, Maigret déambule dans les rues de Moulins, et il aurait pu y croiser le Loursat des Inconnus dans la maison.
Parfois, les liens peuvent sembler moins évidents, mais ils existent cependant. On se souviendra que Maigret a eu affaire à plusieurs reprises au Commodore, le fameux escroc international. Or, le protagoniste central du Relais d’Alsace est en réalité le Commodore, venu s’installer dans une auberge au col de la Schlucht ; aura-t-on remarqué que dans Maigret s’amuse, il est dit que le commissaire et sa femme ont souvent passé des vacances dans un chalet au col de la Schlucht ? Et si Maigret avait rencontré alors le Commodore ?...
Murielle Wenger