domenica 6 gennaio 2019

SIMENON SIMENON. PAS DE REGLES POUR LES ROMANS POLICIERS

Comment Simenon envisageait le roman policier, à la lumière de deux articles écrits pour des journaux 

SIMENON SIMENON. NESSUNA REGOLA PER I GIALLI 
Come Simenon concepiva il giallo, alla luce di due articoli scritti per i giornali  
SIMENON SIMENON. NO RULES FOR DETECTIVE NOVELS 
How Simenon considered the detective novel, in the light of two articles written for newspapers 


A la fin des années 1920, notre jeune romancier, qui venait de passer plusieurs années d'apprentissage de son métier en écrivant des dizaines et des dizaines de romans populaires, décida qu'il devait passer à une autre étape: «je me suis dit qu'il était peut-être temps de faire, non pas du roman littéraire, mais ce que j'ai appelé un peu naïvement du roman semi-littéraire. J'avais encore besoin d'un garde-fou. Je ne pouvais pas écrire un roman où tous les personnages étaient en liberté. Il me fallait un meneur de jeu. C'est pourquoi j'ai choisi le roman policier.», raconte Simenon à Roger Stéphane en 1963. Il ne dit pas autre chose en 1977, dans sa dictée Je suis resté un enfant de chœur: «Il n'y a rien de plus facile, en effet, que d'écrire un roman policier. D'abord, il y a au moins un mort, davantage dans les romans policiers américains. Il y a ensuite un inspecteur ou un commissaire qui mène l'enquête et qui a plus ou moins de droit de fouiller le passé et la vie de chacun. […] L'inspecteur ou le commissaire servent en somme de rampe, comme dans un escalier abrupt. On les suit. On partage leurs soupçons et parfois les dangers qu'ils courent.» 
Ainsi, si l'on en croit le romancier, pour les premiers romans où il narra les exploits de Maigret, il s'agissait bien pour lui d'écrire des romans policiers, peut-être dans la veine de ce qu'il avait déjà fait dans les nouvelles rédigées pour le journal Détective. Mais très vite, Simenon se rendit compte que faire de son commissaire un héros semblable aux détectives du whodunit ou aux aventuriers lupinesques, le mènerait dans une impasse. Et même si les dix-neuf romans Maigret publiés par Fayard étaient plus proches du roman policier que ceux de la période des Presses de la Cité, ils s'éloignaient déjà beaucoup des règles du genre. Simenon en était conscient, et s'il avait pris au roman policier quelques ingrédients de base: un enquêteur, des suspects, une intrigue à suspense, pour le reste, il n'avait que faire des normes et des codes. En septembre 1932, Simenon répondait à une enquête sur les films policiers, menée par Paul Bringuier pour l'hebdomadaire Pour Vous. Après avoir raconté comment les premiers romans Maigret qu'il avait écrits avaient été refusés par plusieurs éditeurs, sous le prétexte que les règles du genre n'étaient pas observées, Simenon faisait un parallèle avec les films policiers: «Et voilà que j'entends à nouveau parler des fameuses règles ! Les règles de quoi ? Je n'en sais rien. Il paraît qu'il y a des règles, des règles du genre, que les uns veulent voir transgressées et que les autres défendent avec acharnement. […] D'abord, il n'y a pas de romans, ni de films policiers. Et il n'y a pas de règles du genre, ni même de formule. […] Il y a de bons films et de mauvais films.» 
En 1934, le romancier signait son dernier roman Maigret de la série Fayard. Pour un temps, il s'éloignait du roman policier, et se mettait à écrire des romans «tout court», sans meneur de jeu ni détective, mettant le protagoniste principal directement aux prises avec son inéluctable destin. Cet éloignement provisoire du commissaire à la pipe, on peut le suivre dans un texte paru le 28 novembre 1934 dans l'hebdomadaire Marianne, et intitulé «Les romans qu'on dit policiers». Avec une bonne dose d'humour et d'auto-ironie sur sa propre production, Simenon évoquait le passé, le présent et l'avenir du roman policier.  
«Il y a exactement quatre ans, il suffisait qu'un roman soit policier pour que la critique n'en parlât pas. Aujourd'hui, il suffit au contraire qu'un roman soit policier pour avoir les honneurs de tous les feuilletons.» Et de faire un tableau des variantes du genre: «Il y a trois ans, par exemple, il fallait le policier cérébral ou, si vous préférez, le policier jeu d'échecs […] Le détective de cette époque est collectionneur de bleus de Perse, numismate, cocaïnomane et homme du monde. Puis vient le policier policier, le policier naturaliste, avec gros souliers, demis de bière, bourrades dans les côtes, larme à l'œil et gilet de flanelle. […] Troisième période: le roman policier d'atmosphère. Là-dedans, «faut ce qu'il faut»: de la pluie, des flaques d'eau, des reflets sur les trottoirs mouillés, des bistrots qui sentent l'anis, des chambres à coucher qui sentent la sueur, des servantes aux aisselles humides et des vagabonds aux pieds sales. S'il fait chaud, il fait chaud à en crever. S'il fait froid, il s'agit que le bout du nez vous gèle rien qu'à lire un chapitre.» Le lecteur de la saga maigretienne saluera au passage quelques réminiscences connues… Simenon concluait son article en écrivant: «puisque tous les journaux affirment que le roman policier est à la mode, puisque tous les critiques le décortiquent, c'est que le roman policier est mort. Avouez que c'est bien son tour, à ce bougre qui, depuis tant d'années, ne vit que de cadavres.» 
A lire ceci, on aurait pu penser que Simenon s'était définitivement éloigné des atmosphères maigretiennes… En réalité, parce que petit à petit il en vint à considérer que les romans Maigret n'étaient pas vraiment des romans policiersil reprit son personnage, et les romans de la période des Presses de la Cité tendirent à se rapprocher de plus en plus de l'esprit des romans durs. Point de vue du héros et intrigue différemment racontés, mais thématiques semblables… 

Murielle Wenger 

sabato 5 gennaio 2019

SIMENON SIMENON. LES ADVERSAIRES DE MAIGRET

Portraits de quelques criminels dans la saga 

SIMENON SIMENON. GLI AVVERSARI DI MAIGRET 
Ritratti di alcuni criminali nella saga 
SIMENON SIMENON. MAIGRET'S OPPONENTS 
Portraits of some criminals in the saga 


Dans les romans policiers, d'aventure ou d'espionnage, le protagoniste principal, le héros, doit lutter contre son antagoniste, le personnage du vilain, qui incarne les forces du mal. Si James Bond a eu à se battre contre un certain nombre de vilains, et si Sherlock Holmes a eu son ennemi juré en Moriarty, qu'en est-il de Maigret ? 
On pourrait dire que notre commissaire à la pipe a eu, lui aussi, affaire à un certain nombre d'antagonistes, les suspects et les coupables qu'il a rencontrés au cours de ses enquêtes. Mais Maigret n'agit pas envers ceux-ci comme le font les protagonistes détectives du whodunit classique: il ne mène pas une simple chasse à l'homme mouvementée, il ne joue pas une partie d'échecs à qui sera le plus malin; ou, s'il le fait, cela ne représente que la partie mineure dans sa façon d'enquêter. Maigret est à la recherche d'une vérité humaine, et c'est ce qu'il essaie de déceler dans ceux qu'il a en face de lui.  
Les suspects qu'il reçoit dans son bureau, les témoins qui cherchent à lui cacher quelque chose, ne sont sans doute pas de vrais antagonistes, dans le sens où il ne doit pas les terrasser, mais il doit les amener sur le chemin de la vérité, et de la confession.  
Cependant, on peut dire qu'ils sont tout de même des adversaires de Maigret, dans la mesure où le commissaire poursuit souvent avec eux une sorte de duel, lorsqu'il conduit un interrogatoire où gagnera celui qui a la meilleure maîtrise verbale.  
Cette nouvelle rubrique aurait pu s'intituler «Maigret et les dix grands criminels», mais, en accord avec la façon dont le commissaire envisage ses enquêtes et son sens de la justice, nous préférons parler de ses adversaires, qui ne le sont que le temps pour celui-ci de découvrir leur vérité… 

Nei romanzi polizieschi, d’avventura o di spionaggio, il protagonista principale, l’eroe, deve lottare contro il suo antagonista, il personaggio cattivo che incarna le forze del male. Se James Bond ha dovuto battersi contro una serie di cattivi e se Sherlock Holmes ha avuto il suo nemico giurato in Moriarty, che cosa accade a Maigret ? 
Si potrebbe dire che il nostro commissario con la pipa ha avuto anche lui un certo numero di antagonisti, i sospetti, i colpevoli che ha incontrato nel corso delle sue inchieste. Ma Maigret non agisce contro di loro come fanno i detective del whodunit classico: non conduce semplicemente una movimentata caccia all’uomo, non gioca una partita di scacchi vedendo chi sarà il più furbo; e se lo fa, ciò rappresenta una minima parte del suo metodo d’indagine. Maigret è alla ricerca di una verità umana, ed è quello che cerca di scoprire in coloro che finiscono davanti a lui. 
I sospettati che riceve nel suo ufficio, i testimoni che cercano di nascondergli qualcosa, non sono sicuramente dei veri antagonisti, nel senso che non deve distruggerli, deve portarli sul cammino della verità e della confessione. 
Comunque si può dire che sono lo stesso degli avversari di Maigret, nella misura in cui il commissario spesso ingaggia con loro una sorta di duello, quando conduce un interrogatorio dove vincerà colui che avrà la migliore abilità verbale. 
Questa nuova rubrica avrebbe potuto intitolarsi «Maigret e i dieci grandi criminali», ma in sintonia con il modo  in cui il commissario preferisce condurre le sue inchieste e il suo senso della giustizia, noi preferiamo parlare di avversari, che lo sono soltanto nel periodo che serve per scoprire la loro verità…  

In the detective, adventure or spy novels, the main protagonist, the hero, has to fight against his antagonist, the villain, who embodies the forces of evil. James Bond had to fight against numerous villains, and Sherlock Holmes had Moriarty as archenemy. And what about Maigret? 
We could say that our Chief Inspector with the pipe had also to deal with a number of antagonists, the suspects and culprits he met during his investigations. Yet Maigret doesn't act towards them like the whodunit detectives protagonists do: he doesn't lead a simple hectic manhunt, he doesn't play chess to see which will be the most cunning; or, if he does it, it's only the minor part in his investigation method. Maigret is looking for human truth, and that is what he tries to detect in those he has in front of him.  
The suspects he sees in his office, the witnesses who try to hide something to him, are in fact no real antagonists, because he doesn't need to defeat them, but he has to lead them on the way of truth and confession.  
However we can say that they are nevertheless Maigret's opponents, insofar as the Chief Inspector is duelling in some way with them, when he is conducting an interrogation where the winner will be the one who has the best verbal abilities. 
This new column could have been untitled "Maigret and the ten greatest criminals", yet, to be consistent with the way the Chief Inspector considers his investigations and with his sense of justice, we prefer talking about them as opponents, who are such only during the time Maigret takes to discover their truth… 


Quand Maigret guette la fissure… 

Le premier de ces adversaires que nous avons choisi est Hans Johannson, dit Pietr le Letton. D'emblée, dans ce premier roman de la saga, on réalise combien Simenon s'éloigne des règles du roman policier. Si tout le début du roman pourrait nous laisser croire que nous assistons effectivement à une chasse à l'homme fertile en événements, très vite le romancier ne laisse pas planer de doute: au cinquième chapitre déjà, il évoque la «théorie» de Maigret, la «théorie de la fissure», selon laquelle «dans tout malfaiteur, dans tout bandit, il y a un homme», et c'est le mystère de cet homme que le policier va essayer de percer. Voilà pourquoi, après la scène dramatique où Maigret réussit à arrêter Hans, il va s'employer à ce que celui-ci se confesse, et raconte toute sa vie. Certes, le policier a eu à mener une lutte contre un rude adversaire, une lutte qui a coûté plusieurs vies humaines, mais après avoir confessé le meurtrier, on peut dire qu'il lui donne une certaine absolution, en lui procurant le moyen d'échapper à la justice des hommes.  

Quando Maigret aspetta la crepa... 

Il primo degli avversari che abbiamo scelto è Hans Johannson, detto Pietr il Lettone. Subito in questo primo romanzo della serie, si capisce come Simenon si allontani dalle regole del romanzo poliziesco. Se tutta la prima parte del romanzo può lasciarci credere che stiamo effettivamente assistendo ad una vera caccia all’uomo ricca di vicende, molto presto il romanziere non lascia alcun dubbio : già al quinto capitolo evoca la « teoria » di Maigret, la « teoria della crepa » secondo la quale « in qualsiasi malfattorein ogni delinquente, c’è un uomo » ed è il mistero di quest’uomo che il poliziotto cerca di scoprire. 
Ecco perché dopo la scena drammatica in cui Maigret riesce ad arrestare Hans, si passa al bandito che si confessa, e racconta tutta la sua vita. Certo, il poliziotto ha dovuto ingaggiare una lotta contro un rude avversario, una lotta che è costata diverse vite umane, ma dopo aver confessato l’omicidio, si può dire che gli dà una sorta di assoluzione, procurandogli il modo di evitare la giustizia degli uomini. 

When Maigret is waiting for the cracking… 

The first opponent we have chosen is Hans Johannson, aka Peter the Lett. Out of hand, in this first novel in the saga, we realize how much Simenon is getting far from the rules of the detective novel. In the beginning of the novel we could think that we are attending an eventful manhunt, yet very quickly the novelist doesn't leave any doubt: already in the fifth chapter he evokes Maigret's "theory", the "cracking theory", according to which "in every criminal, in every bandit there is a man", and the policeman will try to unravel this man's mystery. That's why, after the dramatic scene in which Maigret succeeds in arresting Hans, he'll strive till this one confesses and tells the whole story of his life. Certainly the policeman had to fight against a tough opponent, and this fight cost several human lives, yet after having confessed the murderer, in a way he gave him absolution, providing him the means to escape the justice of men.

by Murielle Wenger