Pourquoi Simenon et Maigret sont des fumeurs de pipe
SIMENON SIMENON. L’UOMO CON LA PIPA : ROMANZIERE, COMMISSARIO, O ENTRAMBI?
Perché Simenon e Maigret sono fumatori di pipa
SIMENON SIMENON. THE MAN WITH THE PIPE: NOVELIST, CHIEF INSPECTOR, OR BOTH?
Why Simenon and Maigret are pipe smokers
« L’homme à la pipe ». Cette expression peut s’appliquer aussi bien à Simenon qu’à son personnage le plus connu. Ce n’est pas du tout un hasard si le romancier a fait de Maigret un fumeur de pipe. À sa propre image, parce que Simenon s’est rendu compte des points communs entre lui et son héros ; mais aussi parce que la pipe donne à Maigret une attitude caractéristique. Dans une interview de mars 1966 pour la télévision suisse, Simenon explique que « La pipe de Maigret, c’est la pipe d’un homme paisible, enfin relativement paisible, parce que Maigret n’est pas si paisible que ça, mais enfin d’un homme qui se domine, qui reste calme, et d’un certain poids. »
Mais le brûle-gueule du commissaire est aussi un accessoire indispensable du personnage, le dessin de sa silhouette serait incomplet sans cet appendice qui le précède partout, et qui envoie des signaux de fumée pour annoncer son apparition, et symboliser ses ruminations…
La pipe est aussi un outil nécessaire dans le rituel d’écriture simenonienne. Dans l’interview mentionnée plus haut, le romancier explique que la pipe est « le médicament de l’écrivain. […] Tant que j’écris, je fume sans arrêt […] En moyenne, je fume de 6 à 8 pipes par chapitre […] Contrairement à la légende, je ne prépare pas les pipes à l’avance ; j’ai toutes les pipes à côté de moi, mais j’aime les bourrer au fur et à mesure, parce que cela me donne tout de même un certain répit entre deux séquences ». Maigret, quand il passe un certain nombre d’heures dans son bureau, à remplir des dossiers, écrire un rapport, ou interroger un témoin, a lui aussi sur son bureau plusieurs pipes qu’il fume à la suite.
Dans sa dictée Vacances obligatoires, Simenon raconte qu’il a commencé à fumer à treize ans et qu’il n’a pas cessé depuis. Il ajoute qu’alors il « ne se doutait pas que la pipe finirait par faire en quelque sorte parie de [lui]-même au point que, quand les photographes viennent [le] voir pour un journal ou un magazine, quand la télévision fait une émission, on ne manque jamais de [lui] dire : - Votre pipe, Monsieur Simenon !... Sinon on ne vous reconnaît pas… » Le romancier devait d’ailleurs se prêter au jeu avec un certain amusement, car il savait que son image de fumeur de pipe faisait aussi partie de sa légende. Et de celle de Maigret, comme Simenon le note malicieusement : « Les photographes, eux aussi, ne manquaient jamais de lui rappeler : - Votre pipe, Monsieur le Commissaire… » (Maigret hésite)
Si Simenon s’est mis à fumer à treize ans, à quel âge Maigret a-t-il commencé ? Cela n’est pas précisé dans les romans, mais on sait qu’il fumait déjà la pipe quand il travaillait, à 26 ans, comme secrétaire de commissariat. On pourrait imaginer qu’il a commencé à fumer au sortir de l’adolescence, peut-être au cours de ses études à Nantes. A moins qu’il ne s’y soit mis au même âge que le romancier, quand il avait une douzaine d’années et qu’il était entré au lycée de Moulins. Dans sa dictée, Simenon explique que l’achat de sa première pipe coïncida avec sa première expérience sexuelle, et que fumer la pipe le faisait se sentir un homme. Mais Maigret était-il aussi précoce que son créateur ?...
Parmi les personnages de policier qui furent des esquisses de Maigret dans des romans populaires, Simenon dessina un certain inspecteur N. 49 (dans L’Amant sans nom, signé Christian Brulls), qu’il décrivait ainsi : « Il bourra une pipe avec le soin qu'il apportait en toutes choses, l'alluma et se mit à fumer en arpentant la pièce. » Selon la légende, Maigret serait sorti tout armé de la pensée de Simenon, lorsque celui-ci vit surgir, par un petit matin ensoleillé à Delfzijl, la silhouette d’un homme massif, auquel le romancier adjoignit immédiatement une pipe, en plus d’un chapeau, d’un pardessus et d’un poêle pour son bureau. En réalité, la première fois que Simenon mit en scène un commissaire Maigret, dans Train de nuit, il ne précisa pas s’il fumait la pipe. Mais dès le « proto-Maigret », suivant, La Jeune fille aux perles (paru sous le titre La Figurante, par Christian Brulls), le commissaire était fumeur de pipe : « il bourra lentement une pipe qu'il alluma, campé devant la fenêtre ». Une image qu’on retrouvera tout au long de la saga, aussi souvent qu’on verra Simenon et sa pipe sur ses innombrables photographies…
Murielle Wenger