A propos des romans Maigret écrits par Simenon au mois de décembre
SIMENON SIMENON. MAIGRET E GLI APPUNTAMENTI DI DICEMBRE
A proposito dei romanzi Maigret scritti da Simenon nel mese di dicembre
SIMENON SIMENON. MAIGRET AND THE DECEMBER RENDEZVOUS
About the Maigret novels written by Simenon in December
Si l'on consulte une liste des romans Maigret selon leur date de rédaction, on en trouve environ une dizaine qui ont été écrits en décembre. Simenon écrivait des romans à chaque mois de l'année, mais certains mois semblent plus "prolifiques" que d'autres, et en particulier pour les Maigret, décembre est de ceux-là. En regardant de plus près quels sont les romans Maigret écrits pendant le dernier mois de l'année, on constate que souvent ceux-ci marquent une étape ou un tournant dans la saga maigretienne, et ont aussi une résonance dans la biographie de Simenon.
En décembre 1931, Simenon, installé à Antibes depuis un mois, après avoir vendu l'Ostrogoth, écrit un nouveau roman, L'ombre chinoise. C'est le douzième de la série, et le premier, depuis plusieurs mois, qu'il n'ait pas écrit à bord de son bateau. C'est aussi le premier roman de la saga dont l'action se concentre totalement sur Paris, et en particulier dans ce quartier de la place des Vosges que Simenon connaît bien pour l'avoir habité longtemps.
En décembre 1939, Simenon vit à Nieul. Depuis huit mois, il est père d'un petit garçon, Marc. Pour plusieurs raisons (nous en avons déjà parlé sur ce blog il y a quelque temps), le romancier décide de reprendre son personnage de commissaire, qu'il avait laissé de côté depuis un certain temps, ne le remettant en scène que pour deux séries de nouvelles. Cette fois, il va le faire revivre dans un roman, Les caves du Majestic, dans lequel Maigret retrouve le grand palace des Champs-Elysées où il avait déjà enquêté dans Pietr le Letton.
En décembre 1940, une année éprouvante se termine pour Simenon: il a géré le centre d'accueil des réfugiés belges à La Rochelle, et il s'est cru atteint d'une grave maladie qui le condamnerait à n'avoir plus que deux ou trois ans à vivre. Il vient de commencer à écrire une sorte de "testament"sur ses souvenirs de jeunesse, qu'il veut léguer à son fils, et la rédaction, éprouvante, est entrecoupée par l'écriture d'un Maigret: Cécile est morte, dans lequel le commissaire retrouve avec une certaine délectation les brumes de l'automne où démarre une nouvelle enquête.
En décembre 1947, Simenon est depuis deux ans en Amérique, et depuis trois mois il est installé à Tucson. La France semble loin… et les souvenirs, décantés, vont lui permettre de retrouver le monde de Maigret dans ce qu'il a de plus nostalgiquement beau… Après avoir fait découvrir à son héros le mode de vie américain (Maigret à New York), puis l'avoir fait passer quelque temps dans un endroit que le romancier lui-même a connu, les Sables-d'Olonne (Les vacances de Maigret), il est temps de remettre le commissaire en pleine activité, et lui faire réintégrer son bureau du Quai des Orfèvres: ce sera avec Maigret et son mort, une enquête typiquement parisienne, où l'on navigue entre le Marais et le boulevard Richard-Lenoir, en passant par le quai de Charenton.
Décembre 1949 est un mois particulièrement faste pour la saga: Simenon n'en écrit pas moins de deux romans: Maigret et la vieille dame et L'amie de Madame Maigret. Stimulé par la naissance de son fils John ("Elle agit comme un dopant et un euphorisant", selon les termes de Pierre Assouline), Simenon trouve l'inspiration pour promener son commissaire à Etretat (avec un clin d'œil à la région d'origine de Boule…) avant de le ramener dans la capitale pour une nouvelle enquête typiquement parisienne, où l'on découvre une quantité de rues dans lesquelles Maigret déambule sa silhouette.
Décembre 1950: Simenon est installé depuis quelques mois à Lakeville, pour une période que les simenoniens s'accordent à considérer comme sa grande période américaine. En septembre, Simenon avait fait une mise au point avec son personnage dans Les mémoires de Maigret, et après cela, il est prêt à repartir pour une nouvelle série de romans pour la saga. Il commence par Maigret au Picratt's, une enquête dans un lieu hautement simenonien: Montmartre, et un commissaire qui fait preuve de son extraordinaire don d'empathie avec une victime, un peu comme il l'avait fait dans Maigret et son mort.
En décembre 1953, on est au milieu de la période Lakeville. Entre temps, il y a eu la naissance de Marie-Jo, le voyage triomphal de 1952 en Europe, et Simenon s'insère plus profondément dans la vie américaine, tandis que sa notoriété grandit aux USA: il est invité pour donner des conférences sur la littérature. Mais le voyage en Europe n'a-t-il pas laissé quelques traces nostalgiques ? Le romancier les exprime en faisant faire à son héros quelques escapades sur ses propres traces d'autrefois: après la Vendée de Maigret a peur, c'est le tour des Charentes avec Maigret à l'école.
En décembre 1957, Simenon s'est établi en Suisse depuis cinq mois. Il a étrenné son séjour helvétique avec Maigret voyage, et maintenant, il va écrire Les scrupules de Maigret, un roman qui inaugure un nouveau cycle dans la saga, où le romancier évoque, par le truchement de son personnage, ses interrogations sur la justice, la responsabilité du criminel et de l'Homme en général. C'est le dernier roman de la saga écrit pendant le mois de décembre, et un demi-siècle après les débuts de celle-ci, c'est un Maigret qui, s'il est toujours égal à lui-même, a évolué, créateur et créature se rapprochant toujours plus, le premier dotant le second de ses propres attitudes face au monde. En cette fin d'année 1957, on est encore loin de la fin de la saga, et Maigret aura encore beaucoup à dire sur la vie pendant les quinze ans à venir…
Murielle Wenger