Comment et pourquoi Simenon décrit la mise à la retraite de son personnage
SIMENON SIMENON. PENSIONAMENTO IN ARRIVO...
Come e perché Simenon descrive il pensionamento del suo personaggio
SIMENON SIMENON. RETIREMENT IS COMING SOON...
"Il y a eu une époque, aussi, où, sans m'en avertir, il m'a mis à la retraite, alors que je n'y étais pas encore et qu'il me restait à accomplir plusieurs années de service." (Les mémoires de Maigret). On se souvient que Simenon, en 1934, décidait de mettre un point final aux aventures de son commissaire, déterminé qu'il était à passer à d'autres exercices. Se refusant à trucider son héros, il le mit à la retraite dans le dernier roman paru chez Fayard. Après "l'intermède" des romans publiés chez Gallimard, où le commissaire était de nouveau en activité à la PJ, Maigret était dépeint en retraité dans Maigret se fâche et Maigret à New York, pour retrouver ensuite son bureau de façon définitive jusque dans les derniers romans écrits pour les Presses de la Cité. Exception faite, bien entendu, des Mémoires de Maigret, écrits fictivement par le commissaire alors que celui-ci était déjà installé dans sa maison de Meung-sur-Loire.
Cependant, depuis Maigret a peur, les allusions à une future retraite du commissaire se sont multipliées dans les romans de la saga. Cette retraite s'est matérialisée par l'achat (relaté dans Maigret aux assises) de la maison de Meung-sur-Loire. Dès lors, on va voir souvent Maigret y passer le dimanche ou quelques jours de vacances, aménageant les lieux en vue de cette retraite, qui est annoncée généralement pour dans deux ou trois ans selon les romans.
Dans Maigret et les témoins récalcitrants, le thème du vieillissement ressenti par Maigret apparaît comme un leitmotiv, et on va le retrouver dans d'autres romans de la fin de la saga. On a l'impression, dès lors, que le commissaire commence à aspirer à cette retraite, et que sa perspective ne l'effraie plus autant qu'avant. Est-ce qu'une certaine fatigue, une certaine forme de désillusion face aux changements qui affectent son métier (la relève de jeunes magistrats qui ne reconnaissent pas les talents du commissaire est un thème qui revient souvent dans la dernière période de la saga) commencent à se faire sentir ?...
Le commissaire va passer par tous les états d'âme: des regrets manifestés dans Maigret et le voleur paresseux ("au fond, c'étaient des moments qu'il aimait bien, peut-être ceux qu'il regretterait le plus une fois à la retraite"), la "mélancolie" (le mot est dans le texte) dans Maigret se défend ("Dans trois ans, la retraite. Dans la police, à cinquante-cinq ans, on nous envoie pêcher à la ligne."), l'indignation dans La patience de Maigret ("la petite maison qu'ils aménageaient depuis plusieurs années pour le jour où Maigret serait forcé par les règlements à prendre sa retraite. […] Comme si un homme de cinquante-cinq ans […] qu'aucune infirmité n'amoindrissait, devenait du jour au lendemain incapable de diriger la Brigade criminelle !"), pour finalement arriver à un sorte de soulagement quand il a pu décider lui-même comment il va passer les années qui lui restent avant cette retraite, lorsqu'il refuse le poste de directeur de la PJ qu'on lui offrait (Maigret et Monsieur Charles).
Certes, Maigret aura sans doute de la difficulté à se retrouver loin de son petit monde parisien, loin de son bureau où il se confronte à la vie lors d'interminables interrogatoires, loin de ses collègues de travail, loin des petits cafés qui sentent le calvados, loin des loges de concierges, des hôtels et des meublés où l'on renifle une chaude humanité. La preuve, il ne pourra s'empêcher de répondre aux sollicitations de ceux qui sont venus le débusquer dans sa retraite de Meung pour solliciter son aide.
Le choix de son créateur de ne jamais faire périr sa créature (à Roger Stéphane qui lui demandait. "Vous n'excluez pas tout de même qu'il meure d'une attaque, cet homme qui a bien mangé, bien bu toute sa vie ? C'est comme ça qu'il mourra, non ?", Simenon avait répondu: "Je ne crois pas. J'espère ne pas le faire mourir. Cela m'ennuierait trop...") et de l'envoyer prendre une retraite bien méritée aura finalement été un bon choix. Non seulement parce qu'ainsi Maigret est resté "l'homme du Quai" pour l'éternité, mais aussi parce que cela a permis au romancier devenu mémorialiste de garder un souvenir attendri de son héros, avec qui il se retrouvera, sur ce point, en "osmose complète", selon les termes de Michel Lemoine (Simenon, la Loire et les fictions, in Cahiers Simenon 12), rêvant d'une retraite semblable à celle de son héros: "Il ne s'ennuyait pas. Il trouvait l'emploi de chaque heure de ses journées et il lui arrivait, bras dessus bras dessous, de faire de longues marches à pied avec sa femme." (Dictée Un homme comme un autre); "Je le quitte sur les rives de la Loire où il doit être à la retraite, comme moi-même. Lui bêche son jardin, joue aux cartes avec les gens du village et va pêcher à la ligne. […] Je lui souhaite une heureuse retraite, comme la mienne est heureuse." (Dictée Des traces de pas)…
Murielle Wenger