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RESTER OU NE PAS RESTER UN ENFANT DE CHŒUR
Quelques considérations sur ce thème dans la vie et l'œuvre de Simenon
SIMENON SIMENON. RIMANERE O NO UN CHIERICHETTO
Alcune considerazioni su questo tema nella vita e nelle opere di Simenon
SIMENON SIMENON. TO REMAIN OR NOT TO REMAIN AN ALTAR BOY
6 aprile 2019 - Le thème de l'enfant de chœur traverse l'œuvre de Simenon, dans les romans durs, et, sans doute davantage, dans les romans de la saga maigretienne. Simenon a donné à Maigret ses propres souvenirs d'enfant de chœur, et aussi bien le commissaire, au cours de ses enquêtes, évoque souvent ce thème, que le romancier en parle dans ses récits autobiographiques. Une de ses dictées est même intitulée Je suis resté un enfant de chœur.
Lorsque Simenon était enfant de chœur, il servait la messe à la chapelle de Bavière à Liège, et il en parle en détail dans sa Lettre à ma mère: «Le dimanche, il y avait deux messes, une à six heures, comme les autres jours, l'autre, plus solennelle, à huit heures. Entre les deux on me […] servait deux œufs à la coque, des tartines beurrées et du café au lait. Ce dont je me souviens, c'est de l'odeur. Non seulement l'odeur sourde de la pièce que j'ai retrouvée dans d'autres couvents, mais aussi l'odeur et même le goût des tartines, des œufs, du café au lait.» Des réminiscences que l'on trouve dans le roman L'Affaire Saint-Fiacre, où elles sont attribuées à Maigret lui-même.
D'autres souvenirs de Simenon sont évoqués dans sa dictée Un banc au soleil: «je me levais, le premier de la maison, à cinq heures et demie du matin, hiver comme été, au son strident d'un réveille-matin […]. L'hiver, les rues étaient obscures et […] je marchais au milieu de la rue, effrayé au moindre bruit de pas dans le quartier, ne retrouvant mon courage que quand j'apercevais la petite lumière qui éclairait la porte cochère de l'hôpital.» Ce décor, cette peur ressentie par l'enfant sont bien les mêmes que ceux qu'on trouve dans la nouvelle Le Témoignage de l'enfant de chœur, mais aussi dans la version qui l'a précédée, Le Matin des trois absoutes, qui raconte la même histoire, sans la présence de Maigret. Quant aux souvenirs de gel, de doigts engourdis par le froid, que le petit Georges a vécus, on les retrouve aussi dans la mémoire de Maigret.
Dans sa dictée Je suis resté un enfant de chœur, Simenon revient sur le pourquoi de ce titre: «On pourrait dire que, pendant la plus grande partie de ma vie, j'ai été plus ou moins poursuivi par le mythe de l'enfant de chœur. […] Si j'ai eu envie de parler de l'enfant de chœur dans le titre du volume, c'est que je m'aperçois, à mesure que je vieillis, que c'est une époque qui m'a marqué à jamais.»
Que faut-il comprendre par ce mythe de l'enfant de chœur ? Je crois qu'il recouvre, au-delà des souvenirs sensoriels du froid, de la chaleur de l'église ou des odeurs d'encens, deux concepts. D'un côté, l'enfant de chœur est le symbole du temps de l'innocence, lorsque le monde paraît «beau comme sur les images» (souvenons-nous des crises de mysticisme du petit Georges, avant qu'il découvre les réalités plus tangibles, si l'ose dire, du mystère de la sexualité…). C'est ce monde perdu de l'innocence dont Maigret éprouve souvent la nostalgie, lorsqu'il est confronté à certaines réalités sordides. C'est aussi ce que Simenon exprime, toujours dans la même dictée, lorsqu'il dit: «J'ai un défaut qui date de loin: la peur de faire du mal ou simplement de la peine. Au fond, comme je l'ai répété souvent, je suis resté un enfant de choeur».
Ce qui nous amère au second concept: cette innocence peut confiner parfois à la naïveté, ce que résume l'expression a contrario «ne pas être un enfant de choeur», c'est-à-dire ne pas être innocent et naïf comme celui-ci. Rester ou ne pas rester, dans l'esprit, un enfant de chœur, c'est-à-dire perdre son innocence et parfois se révolter, c'est aussi ce que Simenon exprimer dans sa dictée A quoi bon jurer ?: «il m'arrive d'employer ce mot [enfant de chœur] dans un sens figuré, c'est-à-dire pour décrire un enfant bien dressé selon les idées les plus conventionnelles. […] Cette éducation-là vous marque pour la vie, même si l'on a depuis longtemps cessé de croire à tout ce qu'on vous a appris.»
Alors, Simenon est-il resté un enfant de chœur, comme il l'affirme ? Sans doute a-t-il perdu en route, comme Maigret, quelques illusions. Mais il a gardé, de l'innocence de son enfance, cette capacité de s'émerveiller, et qu'il a su si bien transmettre à son commissaire….
Murielle Wenger