A propos de la préface écrite par Simenon pour son roman "Les gens d'en face"
SIMENON SIMENON. SIMENON E "LA GENTE DI FRONTE"
A proposito della prefazione scritta da Simenon per il suo romanzo "Le finestre di fronte"
SIMENON SIMENON. SIMENON AND "PEOPLE OPPOSITE"
About the preface written by Simenon for his novel "Danger Ashore"
Jeune écrivain, Simenon aimait voyager et ne s’en privait pas ! Un de ses rêves était de visiter l’URSS, et c’est pourquoi, au printemps de l’année 1933, il s’offre un voyage autour de la Mer Noire, pendant lequel il résidera huit jours à Odessa, à l’hôtel Londen, en République socialiste d’Ukraine. Désireux de visiter les lieux, il s’adresse à l’Intourist, qui lui désigne un guide pour l’accompagner durant son séjour. En déambulant de rue en rue, il peut se rendre compte de l’état de la ville en cette période des grandes famines au début des années 1930. De l’Ukraine il passe par la Georgie et organise son retour en passant par le Bosphore et Istanbul. Il est vraiment impressionné par les lieux visités et surtout par les hommes et femmes qu’il y rencontre. Il absorbe dans sa mémoire tout ce qu’il voit et y trouve sujet pour un roman. Ce roman, il va l’écrire dès son retour de voyage, soit en 1932 (selon son livre de comptes), soit en 1933 (selon son secrétariat), pendant son séjour à «La Richardière», à Marsilly en Charente-Maritime.
On peut décrire la trame du roman comme ceci: Adil bey devient le nouveau consul turc en poste dans la ville portuaire de Batoum, qui se situe sur la Mer Noire, dans la toute jeune Union Soviétique de la fin des années 1920. La vie y est imprégnée de pauvreté, et de famine. Le consul a du mal à fréquenter les milieux diplomatiques de la ville, ainsi qu'à comprendre le système bureaucratique soviétique. Ne parlant pas le russe, il dépend entièrement de sa jeune secrétaire et interprète Sonia, assignée au consulat, qui doit l’aider pour toute chose. Celle-ci vit avec son frère, membre de la Guépéou «maritime», et sa belle-sœur, dans un appartement situé en face de la chambre de travail d'Adil bey. L'obsession de la présence de Sonia impacte sur son travail et sa santé. Désormais, son état de fatigue permanent et sa santé de plus en plus dégradée lui font suspecter que Sonia l’empoisonne peu à peu. Il lui pardonne son acte et comme il reste profondément amoureux d’elle, il lui propose de quitter ensemble la Russie. Le jour de leur départ, il attend vainement à l’embarcadère, Sonia ne vient pas car elle a été trahie et exécutée.
Publié en octobre 1933 chez Fayard, ce roman paraîtra d’abord en pré-originale dans le bimensuel «Les Annales» (Politiques et Littéraires), dont le directeur est Pierre Brisson. Le roman parait du numéro 2459 au numéro 2465, soit du 1er septembre 1933 au 13 octobre 1933. Il faut remarquer que cette pré-originale est précédée d’une préface de la main de Simenon, préface qui n’est pas reprise dans le volume paru chez Fayard. Il s’agit d’un texte relativement court, qui commence ainsi: "Je n’ai jamais écrit de préface, parce que je me considère comme un ouvrier et qu’un objet ou un roman est réussi ou raté". Puis il dit avoir pris de l’expérience et surtout avoir vu certains de ses personnages se retourner contre lui et même le traîner en correctionnelle, aussi prend-il dorénavant quelques précautions. Il continue: "«Les Gens d’en Face» existent tous, sans exception, car je n’ai jamais été capable d’inventer un personnage, ni un décor, ni même une aventure". Ensuite il insiste sur le fait que l’appartement d’Adil bey et la chambre de Sonia existent réellement mais il ajoute: "Comme les milliers de personnages que je traîne derrière moi…ils n’existent pas tels qu’ils sont dans mes histoires, à l’endroit où je les place, avec tel profession, telle nationalité, ni même avec tel nez ou tel chapeau". Il termine cette préface par ces mots: "Non ! L’ensemble est vrai et chaque détail est faux…Ce n’est pas encore ce que je veux dire. C’est un roman, voilà ! Est-ce que ces mots-là ne devraient pas suffire ? Et, pour ma part, j’aime mieux l’écrire que l’expliquer." Comme indiqué plus haut, la préface n’a pas été reprise dans le tirage original chez Fayard, par contre on la retrouve bien dans le tome 2 des Editions Rencontre de 1967.
Philippe Proost