A propos de deux nouvelles écrites en janvier 1945
SIMENON SIMENON. "MADAME QUATRE" E LE DUE SORELLE
Si parla di due racconti scritti nel gennaio 1945
SIMENON SIMENON. "MADAME QUATRE" AND THE TWO SISTERS
Dans un billet du 20 septembre 2016, nous évoquions le séjour de Simenon aux Sables-d'Olonne, où il était arrivé en septembre 1944 pour y passer sa convalescence. Nous avions aussi noté que pendant ce séjour, le romancier n'avait écrit que quelques nouvelles, dont Madame Quatre et ses enfants et Le deuil de Fonsine.
Ces deux nouvelles ont été publiées pour la première fois dans Maigret et les petits cochons sans queue, qui, on se le rappelle, ne contient que deux nouvelles mettant en scène le commissaire (L'homme dans la rue et Vente à la bougie), sur les neuf qui composent le recueil. Ecrites toutes les deux en janvier 1945, les nouvelles Madame Quatre et ses enfants et Le deuil de Fonsine mettent en scène des intrigues fort différentes.
La première raconte l'histoire d'une locataire de la pension Notre-Dame, aux Sables-d'Olonne, qui est là avec ses deux jeunes garçons, deux insupportables gamins. Les autres pensionnaires ne se privent pas, bien entendu, de faire des commentaires critiques sur la méthode éducative de "Madame Quatre", ainsi que la jeune femme a été surnommée, car elle occupe la chambré numéro 4. Jusqu'au jour où elle doit s'absenter, laissant ses enfants à la pension. C'est alors que l'on découvre, dans le journal, que "Madame Quatre" est partie pour déposer au procès de son mari, un pharmacien qui avait assassiné au moins sept femmes, avant de les emmurer dans la cave de sa maison de campagne… Les "histoires de Barbe-Bleue" sont multiples dans les chroniques judiciaires, et Simenon n'a eu que l'embarras du choix pour inventer cette intrigue. Mais, comme à son habitude, le romancier y mêle habilement plusieurs fils de son vécu. Ainsi, ce personnage de "Madame Quatre" lui a été inspiré par une rencontre qu'il a justement faite lors de son séjour aux Sables-d'Olonne, lorsqu'il était pensionnaire à l'hôtel des Roches-Noires: voir l'ouvrage de Michel Carly, Simenon, les années secrètes, qui raconte l'anecdote.
La deuxième nouvelle met en scène deux sœurs, Fernande et Fonsine Sirouet, qu'une haine tenace l'une pour l'autre anime depuis des dizaines d'années. Une haine qui trouve à sa base une histoire d'héritage. Les deux sœurs partagent la même maison, celle de leurs parents, mais le verbe "partager" est à prendre ici dans son plein sens. En effet, Fernande, restée célibataire, occupe la maison depuis la mort de leurs parents, et Fonsine, qui a fini par se marier, a décidé de revenir y vivre lorsqu'elle est devenue veuve. Mais les deux sœurs, qui ne s'entendent pas, divisent la maison en se répartissant les pièces, dressant des cloisons et perçant une seconde entrée. Pendant des années, les sœurs ne savent qu'inventer pour se rendre mutuellement la vie impossible, elles accumulent les procès, jusqu'au jour où Fonsine est emportée par la maladie. Restée seule, Fernande perd sa seule raison de vivre, qui était de se quereller avec Fonsine. Et moins d'une année plus tard, elle suit sa sœur dans la tombe… Cette "chronique de la haine ordinaire", comme l'a appelée Pierre Assouline, Simenon l'a située dans un endroit qu'il connaissait bien, puisqu'il s'agit de Saint-Mesmin, où il avait son domicile depuis décembre 1942. Le thème de la nouvelle n'est pas sans rappeler celui d'une nouvelle avec Maigret, Les larmes de bougie, où l'on trouve aussi deux sœurs qui partagent la même haine.
On appréciera, dans ces deux nouvelles, le talent du romancier qui, dans un récit court, parvient à rendre crédibles les personnages et l'intrigue, et à brosser une ambiance avec l'art qu'on lui connaît. On s'étonnera donc d'autant moins que ces deux nouvelles aient été à la base de deux adaptations pour la série Maigret avec Bruno Crémer, tout aussi jubilatoires l'une que l'autre. Les scénaristes ont su garder le fond de la trame, plutôt dramatique (d'un côté ce pharmacien tueur en série et les découvertes macabres des femmes assassinées, de l'autre les querelles assassines entre les deux sœurs Sirouet, dont la haine cache peut-être une forme d'amour), mais en y introduisant des touches d'humour qui allègent le récit, un humour rentré qui ne manquait d'ailleurs pas dans les récits concoctés par Simenon…
Murielle Wenger