Le thème de la paternité dans les Maigret: le commissaire et son père
SIMENON SIMENON. LE FIGURE TUTELARE DI MAIGRET /1
Il tema della paternità nei Maigret: il commissario e il suo padre
SIMENON SIMENON. MAIGRET'S TUTELARY FIGURES /1
The paternity theme in the Maigrets: the Chief Inspector and his father
Le thème de la paternité hante l'œuvre simenonienne. Il recouvre deux pans: d'une part, la recherche de la figure du père, à travers le souvenir idéalisé de Désiré Simenon; d'autre part, les rapports père-fils, que l'auteur développera dans ses romans lorsqu'il aura lui-même connu les affres et les joies de la paternité. Ce thème fait donc le sujet de maints "romans durs" (Le fils, Malempin, L'horloger d'Everton, pour n'en citer que quelques-uns parmi les plus évidents), mais il apparaît aussi dans les romans Maigret.
Pour créer son personnage de commissaire, Simenon s'est inspiré de plusieurs personnes qu'il a rencontrées, et ce ne sont pas seulement des figures de policiers qui l'ont aidé à composer son héros. A André Parinaud, Simenon confiait en 1955: "quand j'ai voulu créer un personnage sympathique et comprenant tout, c'est-à-dire le personnage de Maigret, j'y ai mis, à mon insu, un certain nombre de traits de mon père." Maigret emprunte donc à la figure paternelle de Désiré, mais, par "un étrange jeu de miroirs", comme le relève Michel Carly (dans son introduction à la collection Tout Maigret chez Omnibus), non seulement le commissaire a en lui des traits du père de Simenon, mais encore la figure du père de Maigret se rapproche elle-même de celle du père du romancier. En effet, Simenon a tenu à ce que le père de son personnage meure au même âge que son propre père, soit à 44 ans. Maigret devient donc orphelin de père alors qu'il est encore un jeune homme, comme c'était le cas pour le romancier lui-même. Celui-ci a-t-il cherché des figures paternelles substitutives ? En ce qui concerne Maigret, en tout cas, on trouve dans les romans plusieurs de ces figures tutélaires qui prennent la place du père.
Ce n'est que petit à petit que Simenon dévoile les souvenirs de jeunesse de son commissaire et qu'il le dote d'un passé. Il faut attendre L'affaire Saint-Fiacre pour que le romancier pose les premiers jalons des souvenirs familiaux de Maigret. Lorsque Simenon invente l'enfance de son héros, il lui revient en mémoire le régisseur de château qu'il a connu au temps où il était secrétaire du marquis de Tracy. Ce régisseur, Pierre Tardivon, a donné à Evariste Maigret ses "longues moustaches" et les "jambières de cuir" qu'on lui connaît dans la description qui en est faite dans Les mémoires de Maigret. Car c'est dans ce roman-ci qu'on trouvera davantage de détails sur le père de Maigret, et sur la relation qu'il entretenait avec lui. Mais nous n'en sommes pas encore là dans L'affaire Saint-Fiacre. La figure du père du commissaire y apparaît alors assez effacée, même si on apprend déjà qu'il "avait été pendant trente ans régisseur du château". Dans ce roman du "retour aux sources", un retour qui se passe plutôt mal puisque les souvenirs de Maigret y subissent nombre de flétrissures, les retrouvailles avec la mémoire paternelle se déroulent tout aussi mal: c'est à peine si Maigret reste quelques minutes sur la tombe de son père, "ternie", "dont la pierre était devenue toute noire" et il n'a pas de fleurs à y déposer… Plus tard dans le roman, cependant, une image un peu plus positive surgit, celle du père Maigret installé dans son bureau, et distribuant les rétributions au personnel du château. Une figure d'autorité, telle qu'on la retrouvera développée dans Les mémoires de Maigret.
Pour que le romancier parle à nouveau de la jeunesse de son héros, il faut attendre le retour de celui-ci aux Presses de la Cité, lorsque Simenon se rend compte qu'il peut approfondir la personnalité de Maigret, pour en faire un personnage beaucoup plus complet qu'un simple détective de roman policier. On trouve d'abord une brève mention à propos de la mort du père de Maigret, ce qui a interrompu les études de médecine de celui-ci (Les vacances de Maigret), puis, dans La première enquête de Maigret, une allusion au fait que Xavier Guichard, le "grand patron" de la PJ, a été un ami d'Evariste Maigret. Viennent ensuite Les mémoires de Maigret, où le commissaire prend la plume pour raconter lui-même l'histoire de sa famille, sa relation à son père, et la mort de celui-ci, ce qui a provoqué le départ du jeune Maigret à Paris, à la recherche d'un emploi, mais aussi de figures paternelles de substitution. Nous y reviendrons. Plus tard dans la saga, il y aura encore, çà et là, quelques allusions au père de Maigret, toujours brèves, et où seront évoqués essentiellement les quelques traits distinctifs et positifs du personnage: son bureau (Maigret chez le ministre), qui symbolise sa fonction de régisseur de château (Maigret et le corps sans tête, Un échec de Maigret, L'ami d'enfance de Maigret).
Dans un prochain billet, nous évoquerons les autres figures paternelles que Maigret a trouvées sur sa route.
Murielle Wenger