A propos des couvertures photographiques
des romans de Simenon
SIMENON SIMENON. DA VIGNEAU A YANTCHEVSKY, ROMANZI
IN FOTO
A proposito delle copertine
fotografiche dei romanzi di Simenon
SIMENON SIMENON. FROM VIGNEAU TO YANTCHEVSKY,
NOVELS IN PHOTOS
About the
photographic covers of Simenon's novels
Lorsque Simenon lança sa nouvelle
collection de romans policiers, il ne se contenta pas de l'inaugurer par une
opération inédite de publicité en conviant le tout-Paris à son Bal
anthropométrique de février 1931, mais il eut aussi une idée de marketing
originale: il voulut que ses Maigret
soient présentés sous une couverture photographique. Il se renseigna sur les
coûts, puis montra à Fayard les calculs qu'il avait faits, et l'éditeur
remarqua: "- Je ne vois pas pourquoi vous prévoyez cinq cents francs pour
les couvertures. Un bon dessinateur vous en fera pour cent francs, un
dessinateur moyen pour cinquante. D'ailleurs, je n'ai pas encore vu de livres à
couvertures photographiques." Et Simenon répliqua: "C'est pourquoi
j'ai choisi cette formule." C'est comme cela que le romancier présente les
choses dans ses Mémoires intimes,
racontant aussi qu'il avait passé du temps à regarder les devantures des librairies,
et qu'il s'était rendu compte qu'il y avait deux façons de présenter un roman:
soit une couverture unie, le plus souvent jaune, et qui "faisait
sérieux", ou alors blanche pour la prestigieuse NRF; soit une couverture
"bariolée ou dessinée", pour les romans populaires. Le choix de
Simenon semblait donc logique: les Maigret
étant à mi-chemin entre la littérature populaire et la littérature
"tout court", il leur fallait une couverture différente, d'où l'idée
de la photographie, plus "chic" que le dessin bon marché, mais moins
"classieux" que la couverture unicolore. Et, comme l'écrit encore
Simenon, "les Maigret ont été les premiers livres enrobés d'une
photographie qui recouvrait non seulement une face, mais s'étendait sur les
deux en passant par le dos." A personnage original, couverture inédite…
Une fois cette décision prise, il
s'agissait de trouver le photographe capable de réaliser le travail, et un
travail de qualité, car Simenon était exigeant en la matière, et avait des
idées bien arrêtées sur ce qu'il voulait. Heureusement, il connaissait le
photographe André Vigneau, qui travaillait déjà sur les photos publicitaires et
les couvertures de magazines. Vigneau était directeur artistique de
l'imprimerie Lecram, celle qui faisait le travail d'impression pour Fayard,
raison pour laquelle c'est ce nom qui apparaît au crédit photographique des
premiers Maigret. Les deux hommes
s'entendirent bien, Simenon faisant suggestions et propositions, et Vigneau
réalisant les photographies selon ces suggestions. D'après les recherches de
Michel Carly (voir son essai Les secrets
des «Maigret», édité par les Amis de Georges Simenon), Vigneau a réalisé
les couvertures de Pietr le Letton, Le
charretier de la Providence, La tête d'un homme, Le chien jaune, Le pendu de
Saint-Pholien. Pour Le charretier de
la Providence, c'est Simenon
lui-même qui était aller dénicher un clochard pour l'emmener au studio, où on
l'avait photographié aux côtés d'un cheval blanc pommelé… Vigneau engagea par
la suite d'autres photographes, qui
deviendront célèbres: Robert Doisneau et Man Ray. Le second, d'après Simenon
dans ses Mémoires intimes, aurait
réalisé la couverture de Un crime en
Hollande, "à l'aide d'un bateau et d'un moulin à vent en papier".
Quant à Doisneau, on ne sait pas exactement quelles couvertures il illustra
pour les premières éditions des Maigret,
mais par contre, il signa plusieurs couvertures de la série rééditée dans les
années 1950 (voir www.enquetes-de-maigret.com/bibliofayard1.htm): La danseuse du Gai-Moulin, Liberty Bar,
L'écluse no 1, mais aussi celle pour Les
treize coupables.
Après l'étape chez Gallimard, où les romans
de Simenon parurent sous une couverture sobre, ce fut le passage aux Presses de
la Cité. Les premiers romans publiés chez cet éditeur avaient des jaquettes
illustrées, puis, dès 1950, on revint à des couvertures photographiques, ce
qui, sans doute, ne devait pas déplaire à Simenon. Les recherches de Michel
Carly et de Pierre Assouline montrent que le romancier était particulièrement
attentif à ces couvertures, et les deux biographes citent plusieurs extraits de
lettres que Simenon échangeait avec Nielsen sur ce sujet. Entre 1950 et 1957,
les Maigret et les romans durs furent
édités avec une couverture photographique en noir et blanc, où le nom de
l'auteur apparaissait en blanc pour les Maigret,
le nom du commissaire étant aux couleurs de l'arc-en-ciel, tandis que pour les
"romans durs", le nom de l'auteur était en rouge. Cette très belle
série est l'œuvre de Nicolas Yantchevsky, dont la Bibliothèque Nationale de
France vient de présenter le travail dans une exposition qui ferme ses portes
demain. Vous trouverez quelques informations à ce sujet sur cette page: www.enquetes-de-maigret.com/yantchev.htm.
Simenon, très attentif à la bienfacture de ces couvertures, se réservait le
choix final, et en cela aussi, il montra combien il avait compris l'importance
du marketing dans la vente d'un livre. En effet, le lecteur ne se laisse pas
guider uniquement par le titre ou le nom de l'auteur, mais l'aspect du livre
lui-même, et en particulier l'image de la couverture, a aussi son importance.
Et ne peut-on dire que, mis à part les
dessinateurs de talent qui exécutèrent des couvertures pour ces romans, tels
Ferenc Pinter pour l'Italie, ou Dick Bruna pour les Pays-Bas, les couvertures
photographiques se prêtent très bien pour les romans Maigret, et leur donnent un charme qui joint le plaisir du
collectionneur compulsif à celui de retrouver, dans les illustrations, les
détails bien connus des lecteurs ? On en veut pour preuve la dernière série en
date, publiée au Livre de Poche: que l'on aime ou non ces illustrations, on
peut au moins leur reconnaître le mérite d'une certaine recherche artistique…
Murielle Wenger