martedì 29 maggio 2018

SIMENON SIMENON. UNE RICHE ICONOGRAPHIE

Quelques réflexions à propos des images de Maigret 

SIMENON SIMENON. UNA RICCA ICONOGRAFIA 
Alcuni riflessioni a proposito degli immagini di Maigret 
SIMENON SIMENON. A RICH ICONOGRAPHY 
Some thoughts about Maigret's pictures 

"Ai-je bu un, deux, ou même trois petits genièvres colorés de quelques gouttes de bitter ? Toujours est-il qu'après une heure, un peu somnolent, je commençais à voir se dessiner la masse puissante et impassible d'un monsieur qui, me sembla-t-il, ferait un commissaire acceptable. Pendant le reste de la journée, j'ajoutai au personnage quelques accessoires : une pipe, un chapeau melon, un épais pardessus à col de velours."
C'est ainsi que Simenon relate la création légendaire de son héros dans le texte "La naissance de Maigret", écrit en 1966 et paru en préface du premier volume des Œuvres complètes publiées par les éditions Rencontre. Cette silhouette qui apparaît au romancier, celle d'un personnage à peine esquissé par quelques détails reconnaissables, Simenon aura le génie de la garder quasi telle quelle tout au long des 75 romans de la saga maigretienne. Quelques touches supplémentaires sur le physique du commissaire seront ajoutées, mais suffisamment vagues pour que chaque lecteur puisse s'en faire sa propre représentation. Une sorte de plasticité qui a permis à des acteurs aux physiques très différents de se couler dans le pardessus de Maigret et d'y être crédibles.  
En effet, on en sait peu sur l'aspect physique de Maigret: plutôt brun (dans Pietr le Letton, il est dit que ses cheveux sont "d'un châtain sombre où se distinguaient à peine quelques fils blancs autour des tempes"), le visage correspondant au reste du physique (un visage qualifié, dans les textes, de charnulourdépaisou large), le commissaire n'a guère d'autres traits distinctifs. Même le port de la moustache reste un sujet discuté  
Cette silhouette dessinée à grands traits, engoncée dans un manteau, d'où dépasse le tuyau d'une pipe, permet aussi toute une iconographie, et on imagine volontiers cette masse énorme, noire, vue de dos. Nombre de couvertures de romans reprendront cette image, mais on la trouvera aussi déclinée sur des affiches ou des encarts publicitaires. Bientôt, à côté des adaptations au cinéma, qui vont donner un visage au commissaire (ou plutôt des visages, car les acteurs des premiers films ont une allure fort différentec'est le moins que l'on puisse direvoir Pierre Renoir, Harry Baur ou Abel Tarride), vont apparaître les premières illustrations dans les journaux. En effet, si les parutions originales des romans chez Fayard ne contenaient pas d'illustration autre que celle de la couverture, c'est dans les journaux où sont publiés des préoriginales des nouvelles, ou des romans en feuilletons, qu'on trouvera les premiers dessins représentant Maigret, chaque illustrateur y allant de sa propre patte, représentant le commissaire selon son propre style.  
Pour les romans en traduction, on s'inspirera aussi des acteurs ayant interprété le commissaire, tels Gabin, ou Gino Cervi pour les deux séries dessinées par Ferenc Pinter. Souvent encore on verra des images d'un commissaire qui ressemble à son créateur. Le rapprochement était facile: imperméable, chapeau et pipe, sont des attributs non seulement de Maigret, mais de Simenon sur nombre de photographies pour lesquelles il a complaisamment posé. On connaît l'anecdote à propos de la série de timbres émise par la Poste française en 1996: la série "héros de romans policiers" comprenait Rocambole, Arsène Lupin, Rouletabille, Fantômas, Nestor Burma et Maigret. Pour illustrer ce dernier, le dessinateur Marc Taraskoff s'est inspiré de la célèbre photographie sur laquelle Simenon posait devant l'entrée du Quai des Orfèvres, lors de son voyage de 1952. Ce qui fait qu'en réalité, ce n'est pas Maigret le héros policier qui se trouve sur le timbre, mais Simenon lui-même… Une confusion dont le romancier s'est souvent fait complice…  
A côté de ces illustrations pour les journaux et les supports divers, on peut mentionner aussi les bandes dessinées (nous renvoyons au billet récent signé de Philippe Proost), qui, chacune, nous montrent un Maigret différent. Et même, un dessinateur comme Jacques Blondeau ne l'a pas toujours représenté sous le même aspect dans les bandes qu'il a illustrées. Preuve que Maigret reste insaisissable, et c'est tant mieux, car c'est ce qui explique peut-être aussi sa longévité auprès des lecteurs: l'image du commissaire n'est pas figée, et elle reste toujours à réinventer… 

Murielle Wenger 

lunedì 28 maggio 2018

SIMENON SIMENON. G-7 CAME BEFORE MAIGRET

On how this character compares to the one who follows him. 

SIMENON SIMENON. G-7 VINT AVANT MAIGRET 
Comment ce personnage peut se comparer à celui qui le suit. 
SIMENON SIMENON. G-7ARRIVA PRIMA DI MAIGRET
Come questo personaggio può essere confrontato con quello che lo seguirà

G-7 was created a few months before Maigret. “G-7” is a nickname for “Inspecteur B.” Different ‘versions’ of this investigator, including the preceding filiations by Simenon of “Sancette” and “Joseph Boulines” “L53” and “L52,” preceded him. The discussion focuses only on the later G-7 as he appeared in the 14 Enigma stories. 

13 short stories, written about him in the winter of 1928-1929, came out in Détective magazine serially from September to December 1929 under the pseudonym Georges Sim. Maigret came out in Ric et Rac magazine serially from July to October 1930. Maigret resurfaced in the 1931 novel Pietr-le-Letton, and G-7 resurfaced in the 1932 collection Les 13 énigmes. 
So, how much did this earlier G-7 contribute, if anything, to the later Maigret? The limited details about G-7 that his creator provides make comparison easier: there is no physical description of the man whatsoever in 6 of 13 stories and, where presented, the images are restricted to a few repeated features. Curiously, a 14th short story, one also written in 1929 that told more about the man than the other 13, was not published until 1991. It became an appropriate lead-in to the series of Enigma stories published in the 2014 Nouvelles secrètes et policières, Volume 1. A short novel in 1931 and three short stories in 1933 added to the grand total of 18 G-7 tales. 
Unfortunately for pure Anglophones, I could locate only three English translations of the 18 stories. All by Anthony Boucher, they were published in Ellery Queen’s Mystery Magazine: “The Secret of Fort Bayard” (November 1943), “The Tracy Enigma” (May 1947) [“Le corps disparu” being the French title], and “The Chateau of Missing Men” (August 1948). Some copies are available online. Back issues likely exist in some libraries. 
One can compare G-7 to Maigret through this necessarily partial portrait: G-7 is so named because “he is about as redheaded and red-faced as the Parisian taxicabs bearing this graphic.” As a “big red boy,” he is more than just “big and broad” since he is “well-built though not excessively so” with an “athletic build” and a “powerful stature.” His “expressive face” is “sprinkled with freckles” around “clear eyes.” G-7 is “always smiling” with his “fleshy lips,” flashing many communicative looks, ranging from “a happy smile” to “a strange smile” to “a terribly human bitter smile” to “a certain nonchalance.” But he is also serious; in fact, he is “serious like a fortuneteller.” More than just “a boy sure of himself,” he is “a man concerned enough about serious things to not worry about the way he dressed.” And, like Maigret, G-7 usually remains “calm.” With “no nervousness in the way he puffs on his pipe,” he “declares calmly” or “responds calmly.” Yet, when “grumpy” or “gruff,” he “crushes with his look” and “reprimands” or “groans crabbily” and “hammers home.” 
The detective’s method is distinctive for its direct blunt questioning: Although “stingy with his words,” he does not lack “the audacity to ask questions” usually “demanded in a cutting tone.” Since “his first concern is to impose silence on his targets,” he orders, “You will respond to my questions […] in as few words as possible.” And thus, with “not a minute wasted, four witnesses march through in less than an hour.” Evidence goes into a notebook to which G-7 “devotes a good ten minutes making legible notes,” whereas Maigret tends to dabble in drawing sketches. 
Maigret-like trances are another investigative feature: G-7 “remained immobile without breathing a word for a good half-hour.” The narrator, his ever-present friend, explains, “In a word, he seemed empty of thoughts, but I learned from then on to discount that look.” 
G-7 drinks wine, smokes a pipe, and rides a bicycle, all Maigret-like activities. Maigret plays a little chess, but G-7 has “just one passion: the game of chess.” And most unlike Maigret, G-7 knows how to and does drive a car. 


David P Simmons

domenica 27 maggio 2018



SIMENON SIMENON. NOUVEAU PORTRAIT DE MAIGRET 
Maigret vu par les autres; critiques littéraires et essayistes 

En 2007, Jacques Baudou publie Les nombreuses vies de Maigret, proposant, entre autres, une biographie du commissaire, étayée sur les informations données dans les romans de la saga, et mise en relation avec des événements historiques. Dans l'introduction à son ouvrage, Baudou fait un bref portrait de Maigret, d'où nous avons extrait la citation d'aujourd'hui. 
"Maigret est avant tout un explorateur de la psyché humaine, de ses faces sombres, un fin connaisseur de l'âme et de ses maladies. […] Il se rêvait en «raccommodeur de destinées», il parvient quelquefois au rôle de «médecin des âmes»." 
    

SIMENON SIMENON. NUOVO RITRATTO DI MAIGRET 
Maigret visto da altri; critici e saggisti letterari 


Nel 2007 Jacques Baudou pubblica Les nombreuses vies de Maigret proponendo, tra l’altro, una biografia del commissario, basata sulle informazioni fornite dai romanzi della serie e messa in relazione con degli eventi storici. Nell’introduzione alla sua opera, Baudou fa un breve ritratto di Maigret, da cui abbiamo scelto la citazione di oggi. 
«Maigret è prima di tutto un esploratore della psiche umana, delle sue facce oscure, un fine conoscitore dell’anima e delle sue malattie. […] Si sognava di essere un «accomodatore dei destini», arriva talvolta a impersonare il ruolo di «medico delle anime». 


 SIMENON SIMENON. MAIGRET'S NEW PORTRAIT 
Maigret seen by others; literary critics and essayists 

In 2007 Jacques Baudou published Les nombreuses vies de Maigret, and proposed a biography for the Chief Inspector, which was supported by the information given in the novels of the saga, and related to historical events. In the introduction to his book, Baudou made a short portrait of Maigret, from which we extracted the quote for today. 
"Maigret is first of all an explorer of human psyche, of its dark sides, a connoisseur of soul and its diseases. […] He dreamed of becoming a "mender of destinies", sometimes he succeeds in the part of a "doctor of souls". 

by Simenon Simenon

sabato 26 maggio 2018

SIMENON SIMENON. UN COMMISSAIRE EN GUERRE /2

Hypothèses sur ce que faisait Maigret pendant la deuxième guerre mondiale 

SIMENON SIMENON. UN COMMISSARIO IN GUERRA /2 
Ipotesi su ciò che Maigret fece durante la seconda guerra mondiale 
SIMENON SIMENON. A CHIEF INSPECTOR AT WAR /2 
Hypotheses about what Maigret was doing during Second World War

Comme nous l'avons dit dans notre précédent billet sur ce sujet, les premiers textes de la saga maigretienne écrits pour les Presses de la Cité présentent un décor ancré dans l'entre-deux-guerres, et d'abord le romancier semble vouloir se cantonner à cette période pour décrire les aventures de son héros. Puis, peu à peu, il va placer dans ses textes des allusions à des événements de la deuxième guerre mondiale, événements antérieurs à l'action des récits.  
Par exemple, dans Maigret chez le ministre, on apprend qu'Auguste Point a fait partie de la Résistance; dans La patience de Maigret, est raconté le bombardement de la gare de Douai. C'est comme si Simenon avait voulu replacer Maigret dans un contexte plus contemporain à la rédaction des romans (un bon exemple se trouve dans Maigret et les vieillards, où il est dit que le comte de Saint-Hilaire avait 26 ans vers 1910, et lorsqu'il est assassiné, il en 77, ce qui fait que l'enquête menée par Maigret se déroule vers 1960, qui est aussi l'année de rédaction du roman). Bien entendu, cela complique d'autant plus la tentative de chronologisation des enquêtes du commissaire et de sa carrière. Car si, comme nous l'avons vu, Maigret est né aux alentours de 1885-1887, et qu'il a commencé sa carrière au Quai des Orfèvres en 1913 (ainsi que le romancier lui-même veut nous le faire admettre dans La première enquête de Maigret), cela implique que dans les années 1950, soit après la deuxième guerre mondiale, il ait plus de 60 ans, et donc qu'il ait largement dépassé l'âge de la retraite que Simenon lui-même a fixée à 55 ans dans plus d'un roman…  
Dans ce cas aussi, il est peu probable que le commissaire ait été enrôlé dans les forces combattantes pendant cette guerre. Que peut-il donc avoir fait pendant cette période ? Aucune allusion n'y étant faite dans la saga, on en est réduit à conjecturer… Une piste suivie par certains est que Maigret, tel qu'on le connaît, n'a sans doute pas voulu continuer à travailler dans la police pendant ces années de guerre, dans la mesure où on sait que celle-ci a eu sa part dans le collaborationnisme du gouvernement de Vichy. Et donc, on pourrait l'imaginer avoir rejoint Londres avec la Résistance. Ce qui pourrait être corroboré par le fait que dans Le revolver de Maigret (écrit en 1952), il est dit que Maigret se trouvait à Londres une douzaine d'années plus tôt. C'est la théorie de David Drake qu'on trouve sur le site de Steve Trussel (http://www.trussel.com/maig/ddchron1.htm). Jacques Baudou, pour sa part, dans son ouvrage Les nombreuses vies de Maigret, propose une autre solution: selon la chronologie qu'il a choisie, Maigret est né en 1885, et en 1940, il a 55 ans, ce qui lui permet de prendre sa retraite, et donc de ne plus avoir de problèmes de conscience par rapport à son travail de policier dans cette situation d'Occupation…  
Enfin, on peut encore proposer une autre version, en prenant appui sur trois romans: La maison du juge, Maigret chez le ministre, Maigret et l'homme tout seul. On se souvient que ces trois romans évoquent le séjour de Maigret à Luçon, qui y a été exilé, suite à une affaire plutôt embrouillée, sur laquelle son biographe ne nous éclaire guère. Dans La maison du juge, on nous dit que Maigret est tombé en disgrâce après des frictions causées par la fusion de la PJ et de la Sûreté. Dans Maigret chez le ministre, on apprend que Maigret a dû passer en conseil de discipline, à cause d'une affaire politique dans laquelle il n'était pour rien, et qu'il a été exilé à Luçon. Enfin, dans Maigret et l'homme tout seul, Simenon revient une dernière fois sur l'affaire de Luçon, et explique que Maigret y a été envoyé parce qu'il avait déplu au directeur de la PJ. Michel Lemoine a posé (dans l'ouvrage Georges Simenon, Parcours d'un écrivain belge), avec une certaine justesse, l'hypothèse que l'affaire qui a été la cause de la disgrâce du commissaire serait l'affaire Prince, qui fit suite à l'affaire Stavisky (voir notre billet du 23 janvier 2018), et il est fort possible que c'est à cela que Simenon pensait quand il rédigea La maison du juge. Par contre, dans Maigret chez le ministre, la disgrâce du commissaire est mise en comparaison avec les problèmes rencontrés par le ministre Point, et une référence explicite est faite à la période de la deuxième guerre mondiale. Enfin, dans Maigret et l'homme tout seul, le romancier a rendu les choses encore plus claires, puisqu'il situe l'exil de Maigret expressément aux alentours de l'année 1946. Ce qui accréditerait la thèse, croyons-nous, que le commissaire a déplu au pouvoir en place, parce qu'il ne pouvait évidemment pas accepter l'esprit collaborationniste de Vichy. Alors, rien ne nous empêche d'imaginer que Maigret a passé l'essentiel de la deuxième guerre mondiale en Vendée, où il est peut-être allé rendre visite de temps en temps à son ami Simenon, et, tout en partageant le sentiment d'exil que devait ressentir le romancier, le commissaire a peut-être travaillé secrètement mais avec profit avec la Résistance… 

Murielle Wenger