Quand le commissaire échappe aux tentations…
SIMENON SIMENON. MAIGRET E LE RAGAZZE DI STRADA
Quando il Commissario sfugge alle tentazioni...
SIMENON SIMENON. MAIGRET AND THE STREET GIRLS
Aujourd’hui, nous allons nous intéresser aux filles de la rue, pour qui le commissaire éprouve une certaine tendresse… en tout bien tout honneur, comme nous allons le voir. Au contraire de son créateur, qui, lui, les a fréquentées assidûment, sans jamais s’en cacher d’ailleurs. Parmi ces « professionnelles de l’amour », comme Simenon les a appelées, il y a plusieurs catégories, dont les filles « en maison », celles qui travaillent dans la rue et emmènent leur client à l’hôtel, ou encore les entraîneuses de bar et de cabaret (qui sont là en principe pour pousser les clients à la consommation… d’alcool, ce qui n’empêche pas de proposer parfois d’autres plaisirs…).
La fidélité de Maigret à sa femme semble irréprochable. Ce qui est d’autant plus méritoire que le romancier le montre souvent exposé à des tentations, chairs dénudées sous des peignoirs entrouverts, femmes qui tentent de le séduire, et lors de ses virées nocturnes, il rencontre des entraîneuses et des filles dans les rues.
La silhouette du commissaire étant relativement connue à Paris, il arrive que des filles, après l’avoir hélé, comprennent leur erreur. Ainsi dans L’Amie de Madame Maigret, devant l’Hôtel Beauséjour, une fille très grosse « sourit en croyant qu’il venait pour elle, puis le reconnut et s’excusa ». Mais d’autres fois, les filles ne l’ayant pas identifié, elles lui lancent une invite, à laquelle il réagit en refusant ou en s’abstenant de répondre. « Il n’y avait plus, dans la rue, que quelques obstinées qui faisaient les cent pas. – Tu viens ? Il haussa les épaules » (Maigret, Lognon et les gangsters) ; « Une professionnelle empâtée […] lui souriait naïvement sans soupçonner son identité. Il en eut pitié et, pour lui éviter de perdre son temps, il fit comprendre, par signes, qu’il n’était pas amateur. » (La Patience de Maigret)
Si Maigret ne succombe jamais, il traite ces filles avec une certaine considération. Voir, dans Maigret se trompe, cette réflexion du commissaire à propos de la victime, Louise, qui était une ancienne fleur de trottoir : « Maigret en avait connu beaucoup comme elle. […] Elles étaient jeunes, conservaient une certaine fraîcheur ; par certains côtés, elles paraissaient à peine sorties de l’enfance, et pourtant elles avaient beaucoup vécu et il y avait déjà trop d’images écoeurantes dans leurs yeux qui ne pétillaient plus » ; rien d’étonnant dès lors qu’il « lui était arrivé souvent de mettre, comme malgré lui, plus de douceur à interroger ces filles-là que d’autres ».
Pourtant, au début de sa carrière, lorsqu’il travaillait à la Brigade mondaine, ces filles ne lui avaient pas rendu la vie facile, ainsi qu’il le raconte dans ses Mémoires : comme il était plutôt timide, et qu’il rougissait facilement, les filles jouaient à le tarabuster ; mais Maigret avait fait mine de rien… Et le commissaire d’ajouter que la grande peur de sa femme, « pendant cette période-là, n’était pas de [le] voir succomber à quelque tentation, mais de [le] voir rapporter une vilaine maladie à la maison. » Honni soit qui mal y pense, car ce sont des puces que le jeune Maigret avait attrapées…
On ne manquera pas de noter la confiance absolue de Mme Maigret en la fidélité de son mari. Mais il faut aussi mentionner que cette fidélité a été mise à mal plusieurs fois ; voir Maigret en meublé, où le commissaire, errant dans les rues alors que sa femme s’est absentée de Paris, croise une femme qui « le regarda avec insistance et il rougit presque, car elle semblait avoir deviné qu’il était provisoirement célibataire. […] Elle le dépassa, se retourna et, plus il se montrait gêné, plus elle se persuadait que c’était un client timide. Elle lui murmura quelques mots en le croisant et il ne s’en débarrassa qu’en changeant de trottoir. » Ouf ! Après une savante manœuvre, Maigret échappe au pire…
Dans Maigret et l’homme du banc, le commissaire, venu interroger une fille dans la maison où elle travaille, reste définitivement de marbre : « Sans quitter son lit, elle avait fait un mouvement et le peignoir ‘s’était écarté. Comme Maigret ne paraissait pas s’en apercevoir, elle lui lança : – C’est tout l’effet que vous fait ? – Quoi ? – De voir ça ? Il ne broncha toujours pas, et elle s’impatienta. Avec un geste cynique, elle ajouta : – Vous voulez ? – Merci. – Merci, oui ? – Merci, non. »
Tout ceci n’empêche pas que le commissaire n’ait rien contre le métier qu’elles pratiquent ; se baladant avec Mme Maigret lors de vacances parisiennes (Maigret s’amuse), ils aperçoivent « deux filles encore jeunes [qui] faisaient les cent pas devant la porte d’un hôtel meublé. – Tu vois qu’il y en a encore. Et elle ne fit aucune réflexion quand son mari répliqua : – J’espère bien ! »
Murielle Wenger