1946-1956 : deux étapes dans la biographie de Simenon, vues à travers deux romans Maigret
SIMENON SIMENON. DIECI ANNI IN UNA VITA E UN’OPERA
1946-1956: due tappe nella biografia di Simenon, viste attraverso due romanzi Maigret
SIMENON SIMENON. TEN YEARS IN A LIFE AND A WORK
Sur ce blog, nous avons déjà évoqué maintes fois la vie de notre romancier, sous de multiples angles. Nous avons raconté le fil biographique des événements, que nous avons mis en contexte avec son œuvre. Mais cette vie et cette œuvre sont tellement foisonnantes qu’on ne peut se lasser de reprendre le fil, de le dérouler d’une autre façon. Dans le billet d’aujourd’hui, nous allons prendre appui sur deux romans Maigret, écrits à dix ans d’intervalle, et cet intervalle va nous servir de trame pour dérouler notre fil.
Le 27 février 1946, Simenon entamait la rédaction de Maigret à New York. Le romancier avait débarqué en Amérique cinq mois plus tôt, en quête d’une vie comme neuve. Laissant derrière lui ses désillusions d’une France où il ne se reconnaissait plus, il abordait le Nouveau Continent avec espoir et enthousiasme, avec une ardeur prête à la conquête. Un mois après son arrivée, il découvrait la brûlure de la passion amoureuse, qu’il transposait presque sans attendre dans Trois Chambres à Manhattan, rédigé à la mi-janvier 1946. C’était peut-être la première fois qu’il racontait « à chaud » une expérience de vie, sans lui laisser le temps de la décantation. A la fin de l’année 1946, il écrivait Lettre à mon juge, où on sentait déjà que certaines illusions de bonheur racontées dans Trois Chambres étaient en train de s’évanouir…
Presque dans la foulée des Trois Chambres, Simenon entamait une nouvelle enquête de son commissaire, qu’il faisait venir sur ses traces à New York. On peut parler d’une nouvelle étape pour la saga maigretienne. En effet, il est possible que le romancier ait envisagé de s’éloigner définitivement de Maigret, en l’abandonnant dans les souvenirs d’un Paris dont la réalité présente ne parlait plus à l’imagination simenonienne. Juste avant son départ d’Europe, il avait écrit Maigret se fâche, et ce n’était sans doute pas un hasard si, aussi bien dans ce roman que dans Maigret à New York, il présentait son héros à la retraite, comme si c’était là les dernières pages qu’il allait lui consacrer. Cependant, on peut penser que Simenon n’arrivait pas si facilement que ça à se débarrasser de Maigret. Car, finalement, rien ne l’obligeait à raconter cette aventure hors sol du commissaire, qu’il aurait très bien pu abandonner dans sa maison de Meung-sur-Loire, le laissant couler des jours heureux de retraité à pêcher à la ligne et jouer aux cartes… Mais non : cela dut l’amuser de transmettre à son héros ses propres étonnements devant la découverte du Nouveau Monde, et bientôt, la nostalgie aidant, il aurait envie de décrire à nouveau le petit monde du commissaire.
Dix ans plus tard, le 26 février 1956, Simenon commençait Un échec de Maigret. Entre temps, il avait écrit une bonne vingtaine de romans durs, certains situés dans des paysages étasuniens, d’autres, plus nombreux, évoquant des lieux européens qu’il avait connus autrefois. Il avait repris Maigret dans une vingtaine de romans également, décrivant des ambiances d’avant-guerre, celles qui restaient le plus fortement imprimées dans sa mémoire. Sur le plan de sa vie privée, il avait connu le divorce et le remariage, une nouvelle paternité, l’immersion dans la vie américaine, puis, ayant probablement absorbé tout ce qui lui était possible, il avait clos un cycle de vie et répondu à l’appel nostalgique de la Vieille Europe.
Un échec de Maigret était le deuxième roman qu’il écrivait à son retour d’Amérique. En attendant de trouver un endroit propice à sa création et cherchant une certaine stabilité que les premiers délitements de son couple avaient ébranlée, il avait prospecté un peu partout en France, sans trouver ce qu’il cherchait, et, en 1955, il s’était installé sur la Côte d’Azur, en attendant de se fixer en Suisse. Dans cette quête du retour aux origines, avec la recherche d’une maison sur les lieux de sa mémoire, Un échec de Maigret semble avoir sa place ; une partie de l’intrigue de ce roman est fondée sur les souvenirs du commissaire : il apprend la « mort » du château de son enfance, racheté par l’odieux Fumal. Sur l’enveloppe jaune préparatoire, Simenon trace quelques détails qui semblent venir tout droit de L’Affaire Saint-Fiacre : « Moulins ; Evariste Maigret, régisseur du château, enterré derrière l’église ; Marie Tatin ; enfant de chœur »…
Murielle Wenger