martedì 21 marzo 2017

SIMENON SIMENON. SIMENON ET LE BALLET

Une forme d'écriture moins connue de Simenon

SIMENON SIMENON. SIMENON E IL BALETTO
Una forma di scritttura meno conosciuta di Simenon
SIMENON SIMENON. SIMENON AND BALLET
A less known form of Simenon's writing

Que Simenon est un grand romancier n’est nouveau pour personne. Mais il n’a pas écrit que des romans. Dès son début au journal la Gazette de Liège, il écrivait des contes, des comptes rendus d’évènements divers et même des articles de fond. Plus tard, à Paris, il a écrit des contes gais par centaines pour des hebdomadaires légers du type Frou-Frou ou L’Humour. Plus tard encore, il a écrit des récits de voyage, chose qu’il aimait faire par-dessus tout. Mais son activité littéraire ne s’arrête pas là. Il a aussi fait des adaptations pour le cinéma, citons Le Chien jaune, La Nuit du carrefour et Quartier nègre.
Ensuite, il faut rappeler les adaptations pour le théâtre: Quartier nègre encore et La Neige était sale. Simenon a aussi écrit pour la radio, d’abord une adaptation théâtrale pour la radiodiffusion: A bord du «Tonnerre de Dieu», pièce en trois actes, adaptation du roman Les Pitard, et ensuite un roman radiophonique en douze épisodes: Le soi-disant Monsieur Prou ou les Silences du Manchot. En 1957, l’auteur a écrit une esquisse d’un scénario pour un film, prévu pour être un film musical qui devait s’appeler Le Bal des vertus. Ce travail est resté sans suite, n’a jamais été réalisé, et le tapuscrit repose au Fonds Simenon à Liège.
Tous ces écrits peuvent étonner, mais en réalité ils sont tous directement ou indirectement en relation avec son métier de romancier. Il en va tout autrement pour une autre forme d’écriture qu’a pratiquée Georges Simenon: en effet, il a écrit par deux fois un argument pour des ballets. Aucun lien avec ses romans, simplement une idée pour faire évoluer sur scène la grâce des danseurs. Le premier ballet s’intitule La Chambre, dont l’argument a été écrit en 1955, et dont certains prétendent que l’auteur l’a écrit en six heures de temps. Simenon avait d’abord opté pour un autre titre, à savoir: La Peau des autres, mais il s’est ravisé par après. Le ballet fut créé le 21 décembre 1955 au Théâtre des Champs Elysées, par la Compagnie des Ballets de Paris de Roland Petit. Outre l’argument par Simenon, retenons les autres noms célèbres: chorégraphie de Roland Petit, décors et costumes de Bernard Buffet, musique de Georges Auric. La danseuse étoile est la jeune Veronika Mlakar et son partenaire est Buzz Miller, deux jeunes danseurs tchèques.
Simenon, après avoir vu le ballet pour la première fois, a déclaré: «J’ai déjà été adapté à
l’écran, à la radio et à la télévision mais jamais je n’ai retrouvé mon atmosphère comme dans ce ballet. Je suis dépassé. C’est un peu comme si on m’avait ajouté quelque chose.». Le ballet fut repris en1956 pour une émission de télévision, avec des acteurs quelque peu différents. L’argument est toujours de Simenon bien sûr, la musique d’Auric, la chorégraphie de Petit, mais les costumes sont de Yves Saint-Laurent. La musique est jouée par l’orchestre de la RTF sous la direction de Marius Constant. Les danseurs sont maintenant Zizi Jeanmaire et Roland Petit.
Terminons par la déclaration de Simenon lorsqu’il présente son argument: «Un rectangle d’un jaune légèrement orangé qui se découpe la nuit dans l’obscurité d’une façade. C’est une fenêtre. Une chambre. Un homme au travail ? Une femme penchée sur un bébé ? Un vieillard qui agonise ? Une amante qui attend ou un jaloux qui arpente la pièce en se heurtant aux quatre murs ? Un couple qui s’aime ou qui s’entredéchire, serti dans le silence en plein cœur de l’univers ? Un être qui tue ? Il y a des milliers de fenêtres, de chambres éclairées dans la nuit de Paris. Dans l’une d’elles un soir…». A ma connaissance, ce ballet ne fut programmé qu’une seule fois à la télévision, et heureux sont ceux qui ont pu l’enregistrer. Le deuxième ballet écrit par l’auteur l’a été en 1957, s’intitule La Mariée, mais il est resté au stade de projet.

Philippe Proost

lunedì 20 marzo 2017

SIMENON SIMENON. A TRAGIC NOVEL: “BELLE” /1

An analysis of the conflicting sexuality of Simenon’s protagonist 

SIMENON SIMENON. UN ROMAN TRAGIQUE : “LA MORT DE BELLE” /1 
Une analyse de la sexualité conflictuelle chez le protagoniste de Simenon 
SIMENON SIMENON. UN ROMANZO TRAGICO: "LA MORTE DI BELLE"/1
Un'analisi del conflitto sessuale  nei protagonisti di Simenon

Why does Spencer Ashby in Belle turn himself from being a completely innocent man into a horribly guilty one? Simenon sets the stage for his actions with an expanding portrait of a man victimized by sexual conflicts that necessitate constant repression of his sexual feelings.
First of all, Spencer suffers shame whenever confronted with sex. The mere sight of “an obscene photograph” as an adolescent caused him intense anxiety. That “most painful moment in his life is redoubled by his shame upon seeing Belle lying on the floor, dress above her waist, panties rolled up into a ball beside her body.
Spencer has always felt those who talked about “things sexual” were “indecent,” and so as a man, he has lived a restricted, isolated existence. Frankly admitting he has “spent his life fleeing from sin,” he has had very little exposure to sex. “I didn’t search for it.” The sex he has had was with “professionals” ten times; the extent of any sex with “his wife” remains unknown. While he may not have a full Oedipus complex, in essence he married his mother. In fact, he thinks about calling his wife Christine “Mommy” and “in talking to her, the word used to come to his lips.” In contemplating how much his mother and wife were look-alikes and wondering if “maybe that explained nearly everything,” he compares their photographic images and concludes “they were of the same kind.” It seems quite likely the couple had not consummated their marriage. In Simenon’s plain terms, Christine “was not amorous in the full sense of the word. She was incapable of passion.” They have no children, and it is not known if they tried to. They appear to live together “rather like two big buddies” as opposed to lovers. That Spencer only leaves the security of his study-workshop, his private “cubbyhole” in “the way an animal pops up out of its hole” at those times “when the house is empty” suggests disinterest at the least. 
Spencer is a mess of conflicting sexual fantasies and repressions. A voyeur constantly spying on Sheila, his next-door neighbor, he exaggerates the message of her pink nightgown and envisions tiptoeing into her bedroom and making love. Spencer is also into legs. Repeatedly studying Anna, the police stenographer pulling her skirt down on her exposed thighs, those “pale columns,” he interprets her actions as come-ons meant for him alone. Excited by a woman “so female that one blushed just looking at her legs, this mixed-up man is not credible in insisting that “not one time had he ever looked at” Belle’s legs or in complaining that Christine had only the “flesh of a sister or mother. With images of Belle, dress up, panties off, flooding his brain, both while awake and in his dreams, Spencer persistently attempts to deny any interest in Belle because “sexually, for him, she had been neutral.” Although often contemplating “what sort of bodies women had under their clothes” and noting Anna has “big breasts and a big bottom that wiggled when walking,” Spencer claims “he never thought she [Belle] could have breasts.” Yet, when quizzed about his time of “going to bed” the night Belle died, going to bed with her is his foremost thought. 
Thus, Simenon nicely sets the stage for innocent Spencer to become a guilty man. 

David P Simmons

domenica 19 marzo 2017

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 LE FAUTEUIL DE MAIGRET
Sur l'usage que Maigret fait de son fauteuil au bureau

SIMENON SIMENON. LA POLTRONA DI MAIGRET
Sull'uso fatto da Maigret della sua poltrona in ufficio
 SIMENON SIMENON. MAIGRET'S ARMCHAIR
On Maigret's use of his office armchair
Imaginons la scène: nous sommes dans le bureau de Maigret. Dans un coin, la douce chaleur du poêle; on entend, dans la pièce à côté, les cliquetis des machines à écrire où les inspecteurs sont en train de taper leur rapport. Maigret, lui, est assis à son bureau, le rond de lumière de sa lampe à abat-jour vert éclairant un dossier qu'il est en train d'annoter… Un filet de fumée s'échappe de sa pipe, et s'enroule autour de sa tête, lui faisant comme une auréole bleue… Mais au fait, sur quoi est assis le commissaire ?... Les lecteurs assidus de la saga nous répondront que Maigret est installé, non sur une inconfortable chaise, mais dans un fauteuil… et ils ont raison, bien entendu.
Tout au début de la saga, Simenon se contente de faire asseoir, lourdement ou pesamment, son commissaire devant le bureau. C'est dans le cinquième roman, La tête d'un homme, qu'on apprend que le siège utilisé par Maigret est un fauteuil, et la première fois que celui-ci apparaît, le commissaire ne se contente pas de s'y asseoir, mais il s'y laisse littéralement tomber, en un geste de fatigue qu'on le verra souvent répéter par la suite. Dans le même roman, Maigret fait un autre usage de son fauteuil, un usage qu'on reverra souvent aussi au cours de la saga: ce fauteuil, dans lequel il "s'enfonce", lui permet de faire la sieste, un temps de repos bienvenu lorsque le policier a dû passer une partie de la nuit dehors, ou qu'il a fait un repas trop copieux, ou encore lorsqu'il est engourdi par la torpeur de l'été, ou par une grippe naissante… Ou, dans une semi-somnolence, il se laisse aller à ses ruminations: "petit à petit, il se tassait dans son fauteuil, tirait de plus en plus rarement sur sa pipe. Il ne dormait pourtant pas. Il avait chaud. Il lui semblait qu'il avait un peu de fièvre. Les yeux mi-clos, il essayait de réfléchir, mais sa pensée […] devenait toujours plus vague" (Maigret, Lognon et les gangsters). Ou comment un fauteuil, au même titre que le poêle, peut être utilisé par Maigret comme une aide dans ses enquêtes…
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MAIGRET UOMO DI TERRA NON SI TROVA A SUO AGIO AL MARE 

MAIGRET, UN HOMME DE TERRE QUI NE SE TROUVE PAS A SON AISE SUR LA MER

MAIGRET, A LANDLUBBER WHO IS UNCONFORTABLE IN THE SEA

Maigret al mare. Sole, spiaggia, gente in costume sulla riva, o in maglietta che cammina lungomare.
Lui non si sente nel suo ambiente. La sua nascita e la sua infanzia in campagna a Saint-Fiacre nell'Allier gli è rimasta nel cuore. E l'acqua per lui è quella della Senna o dei canali di Parigi, o della Loira del suo buon rifugio di Meung. Ma il mare non fa per lui. E non solo quelle coste assolate e calde, dove ogni tanto le sue inchieste lo portano, ma anche l'Atlantico. Quando ne Les vacances de Maigret  (1948) si trova in villeggiatura a Sables-d'Olonne con M.me Louise, obbligata a letto da un'operazione d'urgenza e da una conseguente convalescenza. Maigret, che non sa come impiegare il tempo, a parte le quotidiane visite alla moglie, si ritrova, guarda un po', invischiato in un inchiesta. E che si trova in una cittadina di mare se ne rende conto solo a metà vicenda "... solo a mattina inoltrata Maigret si accorse che il tempo era grigio... e che per la prima volta da quando era arrivato alle Sables, il mare aveva un colore verdastro con qua e là delle increspature quasi nere....". 
Quando le indagini lo portano in Costa Azzurra, a Saint-André in Maigret à l'école (1954) il mare viene appena menzionato, come se fosse una piazza o una via. E ancora la "Costa" in Maigret voyage (1958), Nizza, Montecarlo, dove il caldo lo infastidisce anche perché "... l'aria era soffocante, tanto più che Maigret non era certo vestito per la Costa Azzurra..." e ancora "...aveva lasciato la finestra aperta perché faceva caldo...". Insomma anche qui il mare è una presenza appena avvertita. Ancora il sole e il mare del sud, ad Antibes in Liberty Bar (1932). Qui il mare debutta nelle prime righe del primo capitolo "...un lembo di mare azzurro si scorgeva al di là del deposito di lampade...". Poi a Juan-les-Pins il mare, con la sua promenade e i lussuosi hotel, torna in secondo piano,  protagonista diventa il mondo delle stradine, dei piccoli alberghi, dei bar un po' scalcinati... E più avanti "... c'è intorno un'atmosfera di vacanza... Maigret è tutto vestito di scuro come lo è quasi  sempre a Parigi... porta la solita lobbia che lì è assolutamente fuori posto...". E quando è sera, bevendo sulla terrazza di un bar in vista del mare il commissario pensa "...ormai aveva più o meno capito com'era la Costa Azzurra: un lungo viale che partiva da Cannes  e terminava a Mentone, un viale di sessanta chilometri o più, con ville di qua e di là, qualche casino, molti alberghi...".
E con uno slancio "temerario" lo ritroviamo vicinissimo al mare "...Maigret lungo la spiaggia era costretto a girare intorno ai corpi seminudi stesi sulla sabbia. Procedeva tra quella pelle abbronzata messa in risalto da i costumi da bagno colorati...il sole era caldo. Maigret in abito scuro stonava in mezzo a tutta quella gente seminuda...".
Niente da fare, un po' le radici contadine, un po' la consuetudine cittadina, forse una certa rigidità nel vestire, nei suoi comportamenti, un insieme di cose che rivela l'incapacità di adattarsi a quella tipica atmosfera vacanziera che si respira quando si è vicini al mare. Ecco il disagio del commissario, per il quale boulevard Richard Lenoir rimane il porto preferito.
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LE GUIDE TOURISTIQUE DE MAIGRET
Chaque semaine, retrouvez une ville traversée par Maigret au cours de ses enquêtes

LA GUIDA TURISTICA DI MAIGRET
Ogni settimana, ritrovate una città attraversata da Maigret nel corso delle sue inchieste
MAIGRET'S TOURISTIC GUIDE
Every week you'll find a town crossed by Maigret in the course of his investigations


Bergerac
Nous suggérons de visiter la ville au mois de mars, lorsque le soleil est vibrant. On peut s'installer à l'Hôtel d'Angleterre sur la place du Marché, plantée de platanes. On demandera la plus belle chambre, au premier étage, avec son papier peint rayé de rouge et de vert, ses meubles en pitchpin verni, son antique cheminée et ses stores clairs. Le patron cuisine la truffe sous toutes ses formes, ainsi que le foie gras. Il y a un billard dans la salle du bas.
Sur la même place, on peut voir le Palais de Justice, et, en face de l'Hôtel d'Angleterre, son concurrent l'Hôtel de France, ainsi qu'une maison à volets bleus et une épicerie. De l'autre côté du Palais de Justice, on trouve une autre place, avec une grosse maison à deux étages, dont le premier comporte un balcon en pierre de taille, et les fenêtres sont garnies de rideaux de velours grenat. Si on va à l'autre bout de la ville, on trouve une villa au toit bas, aux volets verts, avec des pelouses fleuries et du gravier blanc dans les allées.
Mais on peut aussi emprunter une longue rue qui part à gauche de la place du Marché, et qui se termine un chemin de terre. Au bout, après le deuxième tournant, on trouve une grosse ferme aux murs blancs, qu'on appelle le Moulin-Neuf. Au-delà, ce sont les bois, dont les arbres sont des chênes et des sapins.
(Les détails sont extraits de Le fou de Bergerac)
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sabato 18 marzo 2017

SIMENON SIMENON. LE CHARRETIER ATTIRE-T-IL LA PROVIDENCE ?

Quelques réflexions sur Le charretier de la Providence, et les critiques lors de sa parution

SIMENON SIMENON. IL CARRETTIERE ATTRA LA PROVVIDENZA ?
Alcune riflessioni su Il carrettiere della Provvidenza, e le recensioni al momento della sua pubblicazione
SIMENON SIMENON. DOES THE CARTER ATTRACT PROVIDENCE?
Some thoughts on The Carter of 'La Providence', and reviews at the time it was published

Nous sommes en mars 1931. Simenon vient de vivre la folle nuit du Bal anthropométrique, et sans doute en est-il à se demander si celui-ci aura une suite, si ce ne sera qu'un épisodique succès médiatique, ou si, au contraire, c'est le début d'un vrai lancement pour son nouveau héros… Retiré dans un hôtel à La Ferté-Alais, Simenon se met à écrire d'autres romans pour le commissaire (Le chien jaune et La nuit du carrefour). En librairie, sont sortis Le pendu de Saint-Pholien et Monsieur Gallet, décédé. Mais il a déjà donné à Fayard les tapuscrits de Pietr le Letton (dont on sait que l'éditeur a préféré le faire paraître en feuilleton dans le journal Ric et Rac) et de Le charretier de la Providence. Ce dernier a été rédigé à la même époque (soit l'été 1930) que Monsieur Gallet décédé, et avant Le pendu de Saint-Pholien (automne ou hiver 1930). Et pourtant, ce n'est pas Le charretier qui a été retenu pour le lancement à la Boule Blanche, sans qu'on en connaisse vraiment la raison (nous en avons déjà parlé plusieurs fois sur ce blog).
Cependant, Le charretier de la Providence a quand même dû avoir une certaine importance pour Simenon, ou en tout cas une certaine signification dans l'ascension du romancier vers la reconnaissance littéraire. En effet, c'est ce roman qui est choisi pour être publié en mars 1931, soit le premier roman à la suite des deux qui inauguraient la nouvelle collection, et probablement Simenon a-t-il dû se dire qu'on "l'attendait au tournant". Le pendu et Gallet avaient bénéficié du battage médiatique du Bal anthropométrique, et, comme l'ont écrit certains commentateurs, après le Bal, on parlait surtout, dans les journaux, de cette fête où le Tout-Paris s'était rendu, bien plus que des deux romans eux-mêmes…
Mais, avec Le charretier, il s'agissait maintenant de confirmer une première bonne impression, et de montrer de quoi le romancier était capable, sur le plan non plus événementiel, mais sur le plan littéraire…
Comment faut-il imaginer Simenon, dans son hôtel de La Ferté ? En train d'attendre avec impatience les journaux de Paris, et se jetant avidement sur les critiques littéraires, pour y découvrir quelques mots sur Le charretier de la Providence ? Ou, au contraire, déjà sûr de son succès, et ne se préoccupant que d'écrire de nouveaux romans pour rester sur sa lancée ? Ou encore, hésitant sur l'avenir de son commissaire, mais déterminé à mener l'essai jusqu'au bout, confiant dans ses propres potentialités ?...
Le charretier de la Providence paraît à la fin du mois de mars 1931, et on peut dire que la bataille n'est pas gagnée d'avance… Comme le remarque Pierre Assouline, on continue d'associer le nom de Simenon au mot de "record" (l'annonce du livre, dans plusieurs journaux, se fait sous ce titre, avec ces mots:" Qui n'a pas à son actif un record ? C'est pourquoi Georges Simenon veut en établir un nouveau. […] Trois romans en un mois, tel est ce record. Jusqu'où ira-t-il ?"), comme s'il s'agissait d'épater la galerie plutôt que d'écrire un bon texte…
Parmi les premières critiques, celle de René Lalou dans La Quinzaine critique des livres et des revues, parue le 25 avril, et qui montre une certaine déception (Lalou avait beaucoup aimé les deux premiers romans): "Le titre même donne le mot de l'énigme; si bien que le roman vaut plutôt par l'évocation de personnages que par l'enquête du commissaire Maigret; bref, la matière paraît un peu péniblement étirée."
Si Simenon a lu cette critique, il y avait de quoi douter de lui-même… Mais d'autres critiques ultérieures pouvaient le rassurer. Ainsi, en août, paraissait, dans Les Nouvelles littéraires, un article de Georges Charensol, un des premiers qui ait deviné les potentialités du romancier; dans son article (qui fait partie de la série "Les illustres inconnus"), Charensol évoque "ces œuvres remarquables que sont Monsieur Gallet décédé, Le pendu de Saint-Pholien, surtout Le charretier de la Providence et Pietr le Letton", et il conclut par ces mots: "On peut dire sans craindre de beaucoup se tromper, que ce romancier populaire demain sera un romancier tout court".
Une autre reconnaissance lui viendra quelques temps plus tard: en août 1932, dans le journal L'Action française, Robert Brasillach écrivait un article intitulé "Claude Aveline: La double mort de Frédéric Belot et les Romans de Georges Simenon". Mis à part quelques restrictions, Brasillach admire chez Simenon son art de créer une atmosphère, et il ajoute: "je ne connais pas d'évocation plus mélancolique, plus exacte, de la vie des canaux que cet étonnant Charretier de la Providence, où la brume, l'humidité, l'eau lente composent un paysage inoubliable". Et Brasillach remettait ça en août 1933, dans sa critique de La maison du canal: "Simenon a retrouvé, dans un décor à peu près semblable, le climat de son meilleur livre, Le charretier de la Providence".
Alors, pari gagné pour Simenon ? En ce mois de mars 1931, rien n'était moins sûr, et le romancier n'avait plus qu'à s'atteler à sa machine à écrire pour prouver que Maigret était le meilleur des policiers…

Murielle Wenger