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JULES SIMENON ET GEORGES MAIGRET
Evocation des rapports entre le romancier et son personnage
SIMENON SIMENON. JULES SIMENON E GEORGES MAIGRET
Evocazione del rapporto tra lo scrittore e il suo personaggio
SIMENON SIMENON. JULES SIMENON AND GEORGES MAIGRET
Evocation of the relationship between the novelist and his character
13 maggio 2017 - Simenon l'a dit et répété à plusieurs reprises: il n'était pas Maigret, et Maigret n'était pas Simenon...
Cependant, on peut trouver des rapports entre le créateur et sa créature, des rapports qui dépassent ceux d'une simple relation d'un auteur à l'un de ses personnages.Simenon, sans aucun doute, ne se prenait pas pour Maigret; il lui a donné des habitudes, un mode de vie, un caractère, qui étaient bien loin des siens; mais il l'a aussi doté, au fil du temps, de particularités qui l'ont petit à petit rapproché de lui-même. Car c'est cela qui frappe le plus, lorsqu'on examine cette relation entre l'auteur et son héros: une évolution dans leurs rapports.
Au temps des premiers romans Maigret, ceux de la période Fayard, on a affaire à un jeune romancier plein d'ambition, qui crée un personnage pour des fins en quelque sorte utilitaires: sur la voie qui doit le mener à la "vraie" littérature, Simenon a besoin d'un "meneur de jeu", un personnage qui, de par son métier de policier, a accès à toutes les couches sociales que le romancier voudrait décrire. Le roman policier lui permet aussi d'avoir un fil rouge: une enquête qu'il faut suivre jusqu'à son dénouement, avec la découverte de décors, de protagonistes que le commissaire va interroger dans leur milieu de vie.
Dans ces années 1930 qui voient fleurir la première série de la saga maigretienne, Simenon est un auteur d'à peine trente ans qui imagine un personnage qui, lui, a dépassé la quarantaine, et il a probablement en tête la vision d'un policier avec une certaine maturité; cet écart entre l'âge du romancier et celui de son héros a pour conséquence qu'il en fait, parfois, une sorte de caricature: une silhouette massive, presque monstrueuse, "pachydermique", "il avait l'air presque bovin", comme le dit Simenon dans l'interview qu'il accorde à Roger Stéphane. Ce qui, bien entendu, ne l'empêche pas de lui donner ce qui en fera sa "marque de fabrique": cette manière de s'imprégner d'une atmosphère, de se mettre dans la peau des gens, "c'est un intuitif", dit encore Simenon à Roger Stéphane.
Cette relation du jeune romancier à un héros mature ("à cette époque-là, il avait tendance à me considérer comme un homme mûr et même, au fond de lui, comme un homme déjà vieux" raconte Maigret dans ses Mémoires) va petit à petit évoluer, et une deuxième étape est franchie à l'aube des années 1950, lorsque le romancier, installé aux USA, transcende sa nostalgie parisienne et comprend que son personnage lui est devenu nécessaire, à la fois pour se replonger dans le monde de la capitale telle qu'il a connue vingt ans auparavant, et à la fois parce qu'écrire un Maigret lui est utile, aussi bien pour se "délasser" de la rédaction des romans durs, que pour aborder dans un roman policier un thème qu'il n'a pas encore réussi à cerner dans un autre roman. De plus, Simenon a rejoint l'âge de son personnage, et il en a forcément acquis un autre regard sur lui. Sa propre expérience de la vie lui a appris à voir le monde différemment qu'avec le regard de sa prime jeunesse, et il commence à doter son personnage de quelques-uns de ses propres souvenirs (voir par exemple la nouvelle Le témoignage de l'enfant de chœur, dans laquelle Simenon met en Maigret ses souvenirs de son enfance liégeoise), mais aussi de ses propres sensations, de sa propre façon "d'être au monde", d'appréhender gens et choses.
Et le rapprochement va se faire encore plus étroit, lorsque, au lendemain de son installation en Suisse, Simenon va commencer à poser ses interrogations sur les grands thèmes qui le hantent: la responsabilité des criminels et de l'Homme en général. S'il ne fait pas de son héros son "porte-parole" à proprement parler, il n'y a pas de doute que les questionnements de Maigret sur le fonctionnement de l'appareil judiciaire, sur les limites de la folie (voir par exemple Maigret aux Assises, Une confidence de Maigret ou Maigret hésite) reflètent les questionnements de Simenon lui-même.
Une dernière étape dans la relation entre le créateur et son héros est atteinte lorsque Simenon cesse son métier de romancier, pour égrener ses souvenirs dans ses Dictées. Il est frappant de constater que dans ses textes autobiographiques, Simenon ne parle qu'extrêmement rarement des personnages qu'il créés. A mesure qu'il avance en âge, petit à petit une coupure se fait entre lui et ses romans, mais un seul personnage reste présent à sa mémoire: c'est Maigret, qu'il évoque souvent dans ses Dictées, l'imaginant coulant une paisible retraite, qu'il compare à la sienne. Alors que les rares fois où il parle d'un autre de ses personnages, c'est pour l'évoquer dans le contexte d'un roman où il est apparu, avec Maigret, c'est différent: il en parle presque comme de quelqu'un qu'il aurait pu connaître dans la réalité, établissant des comparaisons entre son personnage et lui-même: mêmes goûts culinaires, même désir de comprendre les hommes. Dans ses Mémoires intimes, il ira jusqu'à écrire que Maigret est un "personnage qui a fini par devenir mon ami". Et il ajoute, dans une sorte de réconciliation finale avec ce personnage qu'il avait pu trouver encombrant et dont il avait essayé en vain de se débarrasser à plusieurs reprises: "Je lui dois beaucoup de reconnaissance puisque c'est grâce à lui que j'ai cessé d'être un amateur et que je suis devenu pour longtemps un romancier."
Non, Simenon n'est pas Maigret, mais peut-être, au fil des années, a-t-il mis en lui plusieurs des choses auxquelles lui-même aspirait sans y arriver; cet éternel inquiet que fut le romancier, qui disait ne pas s'aimer lui-même, et qui tentait de se fuir en se mettant pour quelque temps dans la peau de ses personnages, n'a-t-il pas envié son commissaire, qui, en dépit des affres qu'il vivait à travers ses enquêtes souvent difficiles, avait réussi à atteindre cette "introuvable sérénité", selon le mot d'Assouline, que Simenon lui-même ne parvint jamais à rejoindre…
Murielle Wenger
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