SIMENON SIMENON. DOPO DIECI ANNI IN AMERICA SIMENON TORNA IN EUROPA
Riflessioni sulle ragioni che spingono il romanziere a lasciare l'America
SIMENON SIMENON. AFTER TEN YEARS IN AMERICA SIMENON RETURNS TO EUROPE
Thoughts on the reasons which lead the novelist to leave America
Octobre
1945 – mai 1955. C'est presque dix ans que Simenon a passé dans le
Nouveau Monde, des années qui ont bouleversé sa vie privée, mais aussi
des années qui sont parmi les plus prolifiques pour son œuvre. C'est en
Amérique que le romancier s'était pratiquement "enfui", pour oublier les
tracas de la guerre qu'il venait de vivre, pour échapper à la vieille
Europe et reconstruire "une vie comme neuve". C'est en Amérique qu'il
découvre la passion amoureuse, qu'il bâtit une petite famille avec la
naissance de son deuxième fils et de sa fille. C'est en Amérique qu'il
découvre le american way of life, les grands espaces des westerns, la
liberté individuelle, mais aussi le maccarthysme. C'est en Amérique
qu'il va s'installer pendant près de cinq ans à Lakeville, et qu'il va y
vivre, selon les mots de son biographe Michel Carly, "une période de
bonheur et d'équilibre", probablement un moment unique dans toute sa
vie, et qui se reflète dans sa production littéraire, avec quelques-uns
de ses romans les plus forts, mais aussi une série de Maigret de la
meilleure veine.
Simenon a joué l'acteur de "road movies" sur les
routes américaines, il a joué au rancher en Arizona, il a joué le
fournisseur de scénarios à Hollywood, il a cherché à atteindre la
reconnaissance d'un lectorat plus international, il a failli devenir
citoyen américain… Mais il n'a jamais pu s'intégrer complètement,
arriver à ce "you have to belong", à être un membre à part entière d'un
groupe, d'un clan, d'une société. Il ne peut s'empêcher de poser sur le
monde qui l'entoure, avec une certaine distance, son regard de
romancier, y chercher plus ou moins inconsciemment la matière pour un
prochain livre. Simenon, citoyen du monde, est de partout et de nulle
part, et sa vie est une succession de fuites, peut-être une fuite de
lui-même…
Pendant ces dix ans d'Amérique, Simenon ne revient qu'à
deux reprises en Europe; la première fois lors du "triomphal voyage" de
1952, avec l'accueil à la PJ, et le "retour aux sources" en Belgique;
la seconde en octobre-novembre 1954, où le romancier fait un "voyage
promotionnel" en Grande-Bretagne. C'est finalement assez peu de temps
après le retour de ce voyage que les choses vont basculer. Laissons
Simenon raconter lui-même l'histoire, en puisant quelques extraits dans
ses Mémoires intimes.
"Noël [1954], aussi joyeux que nos autres
Noël dans notre chaude maison de Lakeville […]. Je passe la plupart de
mes soirées à regarder la télévision en me balançant dans mon
rocking-chair. Tout me passionne, parce que tout me fait pénétrer
davantage la vie américaine. […] Hamish Hamilton, mon éditeur anglais,
nous rend visite pour quelques jours […]. Un soir que Hamish et moi
sommes seuls dans la bibliothèque, mon éditeur me pose une question
inattendue: «- Quelle raison avez-vous, George, de rester en Amérique
?». Je cherche. Je parle de ma petite couvée qui pousse si
harmonieusement dans ce climat… Sentant que je ne le convaincs pas, je
trouve d'autres raisons, les écoles, les amis, le respect de l'individu
[…] Je trouve dix, vingt raisons que je crois bonnes, sans parvenir à le
satisfaire."
Le lendemain, après le départ de Hamilton, Simenon
passe une "journée ordinaire", avec ses occupations quotidiennes
habituelles, mais probablement avec en arrière-plan, au fond de sa
pensée, les propos qu'il a échangés avec son éditeur, propos qu'il doit
sérieusement ruminer, puisque, le soir même, il annonce à sa femme qu'il
a décidé de repartir en Europe. Il ne sait pas encore si c'est un
retour définitif, mais, comme l'écrit encore Simenon: "Cela m'est arrivé
plusieurs fois dans ma vie de me sentir tout à coup étranger au décor
qui m'entoure." Si le bilan de ces dix ans d'Amérique est globalement
positif, Simenon a trop la bougeotte dans le sang pour réussir à
s'incruster définitivement quelque part. Il a besoin de changement, de
voir de nouveaux horizons, de découvrir de nouvelles ambiances, de
recommencer, de façon illusoire peut-être, à chaque fois cette fameuse
"vie comme neuve"… Le 19 mars 1955, la famille Simenon embarque sur
l'Ile-de-France pour un retour en Europe, dont on ne sait pas encore ce
qu'il apportera, et le romancier, sur le paquebot, en voyant la côte
américaine s'éloigner, remâche peut-être des pensées analogues à celles
qu'il a dans ses Mémoires en se souvenant de ce départ: "Pourquoi partir
? Je n'en sais rien. Pour où ? Je l'ignore. Il faut croire que, par
destin, je vais toujours en quête de quelque chose. Mais de quoi ?"…
Murielle Wenger