Le style du romancier existe : prenons quelques exemples
SIMENON SIMENON. PER UNA DIFESA DELLO STILE DI SIMENON
Lo stile del romanziere esiste: facciamo alcuni esempi
SIMENON SIMENON. FOR A DEFENCE OF SIMENON’S STYLE
« Je me souviens d’une phase d’un critique inconnu qui, lors de mes premiers Maigret, disait : "Simenon a beaucoup de qualités. Dommage qu’il écrive comme un cochon." Je n’en ai pas été ému, car je ne méprise pas plus les cochons que n’importe quel animal. […] j’ai passé des années à simplifier mon style au point que mes romans, débarrassés des mots inutiles et des descriptions de plus de cinq lignes, maigrissaient à vue d’œil, jusqu’à perdre quarante pages de dactylographie sur deux cents. » Ainsi s’exprime Simenon dans sa dictée Jour et nuit. Le romancier a tendu toute sa vie à atteindre un style dépouillé, qui va à l’essentiel. Mais simplicité du style ne veut pas dire fadeur.
Certains critiques, qui se sont arrêtés un peu vite aux déclarations du romancier à propos de ses fameux « mots-matière » et du vocabulaire restreint utilisé dans les romans, en ont déduit que, au mieux, le style de Simenon était plat, dans un sens péjoratif, et au pire, qu’il n’avait pas de style. Mais cela ne tient pas la route. Toute personne qui écrit a forcément un style particulier, avec ses tics de langage et d’écriture. Sauf, peut-être, si ce style est délibérément copié sur celui d’un autre auteur ; mais même ainsi, il n’est pas si facile d’imiter complètement l’écriture et le style d’un écrivain. Tous ceux qui se sont essayés au pastiche en ont fait l’expérience. Et peut-être particulièrement avec Simenon. Quand on le lit, cela a l’air facile, surtout si on s’en tient aux clichés : un soupçon de pluie, une pincée de brouillard dans un port la nuit, un marinier ivre qui frôle une fille dans les rues mal éclairées, et on croit que cela suffit pour « faire du Simenon »… Essayez donc, pour voir…
Simenon a un style, et qui va au-delà des poncifs qu’on évoque quand on parle de son écriture. Un style auquel on pourrait attribuer nombre de qualificatifs, mais pour ce billet d’aujourd’hui, on va retenir le concept de style poétique. Ses descriptions de lieux, de paysages, d’ambiances sont infiniment poétiques, et il y réussit avec une grande économie de moyens. Une des clefs de cette réussite, le romancier l’a donnée lui-même dans l’interview qu’il a accordée à André Parinaud : « Ce que j’ai essayé d’acquérir, c’est un style qui rende le mouvement, qui soit avant tout mouvement. […] L’ordre des mots, dans une phrase, a une importance capitale, beaucoup plus, à mon avis, qu’une syntaxe parfaite. »
Et parce qu’un exemple vaut mieux que mille explications compliquées, je vous propose ces quelques extraits, pris dans les romans de la saga maigretienne, mais on en trouverait de nombreux autres dans les romans durs.
Un exemple du style descriptif de Simenon se trouve au début du chapitre 8 de Mon ami Maigret, avec le son des cloches du dimanche ; on ne va pas citer d’extrait ici, parce que le passage est très long, mais aussi parce qu’il a des résonances proustiennes, et qu’il n’est peut-être pas le plus représentatif, ou du moins le plus courant de ce qu’on trouve dans les romans. Mais il vaut la peine de le rappeler, parce que quiconque a lu ce passage ne pourra plus jamais prétendre que le style de Simenon est fade ou absent.
Voici un extrait du premier chapitre de Maigret et le corps sans tête, dans lequel le romancier a magistralement décrit l’ambiance d’un petit matin de printemps près du canal Saint-Martin : « […] le ciel qui se teintait de rose. Les pots de cheminées au-dessus des toits, étaient la première chose, dans le paysage, à prendre vie et couleur tandis que sur les ardoises ou les tuiles, comme sur certaines pierres de la chaussée, le froid des dernières heures de la nuit avait mis une délicate couche de givre qui commençait à s’effacer. » Et un autre matin de printemps dans Maigret à l’école (j’ai volontairement choisi des ambiances printanières, parce que cela permet de tordre le cou à un autre cliché, qui voudrait que Simenon ne décrive que des atmosphères automnales), avec un lever de soleil décrit en trois temps : « un soleil clair et léger, qui avait la gaieté du muguet, brillait sur Paris et faisait briller les pots roses des cheminées sur les toits », « une buée légère, d'un bleu mêlé d'or, montait de la Seine », « le jaune brillant, dans l'air, l'emportait peu à peu sur le bleu, et les façades, de l'autre côté de la Seine, prenaient une couleur crémeuse ».
Qui oserait encore prétendre que Simenon n’a pas de style ?
Murielle Wenger
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