A propos de la vélocité d'écriture de Simenon: quelques analyses
SIMENON SIMENON. UN ROMANZIERE AL LAVORO /2
A proposito della velocità di scrittura di Simenon: alcune analisi
SIMENON SIMENON. A NOVELIST AT WORK /2
Dans un précédent billet, j'avais posé quelques bases à propos de la vélocité d'écriture de Simenon, en particulier ses déclarations sur sa "méthode" d'écriture. Je vais donc revenir sur quelques points, déjà soulevés par Maurizio dans son billet sur la question.
Le premier point concerne la déclaration de Simenon selon laquelle il écrivait un chapitre par jour. Il est bon de préciser deux choses à ce propos. D'une part, ce rythme de rédaction n'a pas toujours été tel: on se souvient qu'au temps de sa production alimentaire, Simenon écrivait un roman populaire à une cadence beaucoup plus rapide. Ensuite, on ne peut vérifier ce fait que pour les romans de l'époque des Presses de la Cité, pour lesquels on possède les calendriers de rédaction. Pour les romans antérieurs, on ne connaît tout au plus que la date finale de la rédaction, et on ne peut donc en inférer la durée de celle-ci. Simenon lui-même a dit que ses premiers romans étaient écrits à une cadence plus élevée, en particulier pour les romans Maigret de la période Fayard, qu'il rédigeait à raison de "deux chapitres par jour, un le matin, l'autre l'après-midi, de sorte que certains de ces romans ont été terminés en trois jours: " (in Mémoires intimes).
Grâce aux calendriers, on peut donc calculer la durée en jours de rédaction d'un roman. On découvre que les romans durs, en moyenne, prennent un peu plus de temps que les Maigret (moyenne de 10 jours pour les premiers, de 8 pour les seconds), avec des écarts peu importants pour les Maigret (entre 7 et 10 jours) et beaucoup plus grands pour les romans durs (de 7 à 24 jours). Pour les Maigret, plus on avance dans la chronologie rédactionnelle, plus le nombre de jours de rédaction diminue: les romans écrits entre 1946 et 1949 comptent entre 9 et 10 jours de rédaction, puis les romans de la décennie 1950-1959 sont écrits pour la plupart en 8 jours, puis, dès les années1960, Simenon termine ses Maigret en 7 jours. Tandis que pour les romans durs, si la tendance est aussi à une diminution du nombre de jours de rédaction, on trouve des romans pour lesquels il a fallu au romancier davantage de temps, et ceci dépend moins de la période d'écriture que d'autres facteurs: sujet traité, préparation de la documentation, circonstances extérieures ou longueur du roman.
D'autre part, on constate que ce rapport "un jour de rédaction/un chapitre" n'est pas tout à fait exact. Comme l'écrit Claudine Gothot-Mersch, "en réalité, le nombre de chapitres est souvent supérieur d'une ou deux unités au nombre des jours consacrés à la rédaction (parfois, il est vrai, le chapitre «supplémentaire» consiste en un court épilogue)." Ce qui, selon moi, peut conduire à deux hypothèses: soit une journée de rédaction ne correspond pas stricto sensu à la rédaction d'un chapitre (on pourrait imaginer, par exemple, que le romancier écrit un chapitre, puis le début d'un autre chapitre au cours de la même matinée, puis qu'il termine cet autre chapitre la matinée suivante, et entame le chapitre suivant, etc.); soit, lors du dernier jour de rédaction, il écrit l'avant-dernier chapitre, ainsi que le dernier chapitre conclusif. Pour ma part, j'aurais tendance à privilégier la seconde hypothèse…
Muni de ces informations, on peut maintenant, à la suite de Maurizio, tenter de calculer la vélocité de frappe de Simenon. On peut effectuer ces comptages de deux manières: soit en se basant sur les déclarations de Simenon à propos de la durée journalière de son travail, soit en se basant sur les informations des calendriers de rédaction.
Nous avons vu, d'après son entretien avec Parinaud, que Simenon écrivait ses romans le matin, de 6 h 30 à 9h; mais soulignons que, dans des souvenirs postérieurs, il donne un autre horaire: "je me levais à six heures du matin et je me précipitais aussitôt vers mon bureau où je restais enfermé jusque vers dix heures, ce qui correspondait à l'écriture d'un chapitre." (in De la cave au grenier); et dans Vacances obligatoires, s'il déclare commencer son travail autour des six heures du matin, la fin de celui-ci est plus variable: "vers dix heures, dix heures et demie, parfois plus tôt, mais avec une légère différence, le chapitre était terminé, qu'il s'agisse d'un Maigret ou d'un non-Maigret."
Cette durée de temps inclut probablement non seulement la frappe à la machine, mais aussi quelques arrêts pour réfléchir, boire quelque chose, ou allumer une nouvelle pipe… Mettons, pour simplifier les calculs, que la durée réelle de rédaction (ou plus précisément de frappe sur le clavier) est en moyenne de trois heures, ce qui correspond peu ou prou à la déclaration de Simenon à Parinaud, que j'avais citée dans mon précédent billet.
Maurizio nous a proposé quelques calculs à partir d'exemples choisis parmi les romans durs, et pour ma part, je vais faire le comptage à partir des Maigret, pour lesquels les calculs comparatifs sont d'autant plus aisés que l'on peut utiliser l'édition Tout Maigret parue chez Omnibus, pour laquelle tous les romans connaissent une même typographie et mise en page, ce qui rend les résultats d'autant plus fiables.
Posons donc pour principe que les trois heures de travail annoncées par Simenon correspondent à la rédaction d'un chapitre. Dans l'édition Tout Maigret, un chapitre compte en moyenne 14 pages. Et si l'on calcule le rapport entre le nombre de pages d'un roman et la durée de son écriture selon le calendrier de rédaction, on arrive aussi à une moyenne de 14 pages par jour de rédaction. Autrement dit, 3 heures de frappe pour 14 pages équivaut à 4,7 pages par heure, soit un peu plus d'une page par quart d'heure.
Dans cette édition, une page compte grosso modo 40 lignes et 2600 caractères. Ce qui revient à dire que Simenon aurait tapé environ 2600 caractères par 15 minutes, et, compte tenu du fait qu'il s'agit des Maigret, dont la "mécanique" bien rôdée rend l'écriture plus aisée et peut donc permettre une rédaction plus rapide que celle des romans durs, on rejoint ainsi les résultats obtenus par Maurizio…
Murielle Wenger
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