A propos des films tournés pendant la
guerre, avec Albert Préjean dans le rôle de Maigret
SIMENON
SIMENON. MAIGRET TORNA… AL CINEMA/1 – PICPUS
A proposito dei film girati durante la
guerra, con Albert Préjean nei panni di Maigret
SIMENON SIMENON. MAIGRET COMES BACK… AT THE
MOVIES/1 – PICPUS
About the
films shot during the war, with Albert Préjean in the part of Maigret
Le 17 septembre 1941, la firme Continental
Films adresse une lettre à Simenon, pour lui demander les droits d'adaptation
de La maison du juge, que le
romancier avait rédigé en janvier 1940. Cette firme cinématographique a été
créée en octobre 1940 par Alfred Greven, dont le but est de faire renaître
l'industrie du cinéma français, mais sous l'égide allemande. Pour choisir les
sujets des nouveaux films à produire, on puise volontiers dans le répertoire du
roman policier (L'assassinat du Père Noël,
de Pierre Véry, ou L'assassin habite au
21, de Charles-André Steeman), mais les grandes plumes françaises sont
aussi sollicitées (Balzac, Nerval ou Zola). Et, naturellement, la renommée de
Simenon ne laisse pas indifférent dans ce domaine… A peine la Continental
est-elle créée que l'on demande au romancier les droits d'adaptation pour Les inconnus dans la maison. Simenon,
qui ne s'occupe pas trop de l'arrière-plan politique, voit surtout dans ces
possibilités de contrats une importante ressource financière. On ne peut
d'ailleurs guère lui reprocher d'avoir travaillé avec la Continental, car
nombre de réalisateurs et d'acteurs firent de même: Clouzot, Decoin, Cayatte, Raimu,
Fernandel, Michel Simon ou Danielle Darrieux, pour n'en citer que quelques-uns…
Comme le dit Assouline dans sa biographie simenonienne, "paradoxalement,
l'Occupation correspond à l'âge d'or du cinéma français", et pourquoi
Simenon n'y aurait-il pas participé avec tant d'autres… En tout, neuf de ses romans
seront adaptés pendant cette période, dont trois Maigret.
Le premier roman du commissaire que la
Continental a en vue est La maison du
juge. Assouline fait la remarque que la firme devait "être
particulièrement bien informée et éplucher la presse", puisque le roman
n'était pas encore sorti chez Gallimard (il ne le sera qu'en 1942 dans le
recueil Maigret revient…). En effet,
ce roman a d'abord paru en préoriginale dans le journal Les Ondes, un hebdomadaire lancé le 27 avril 1941 par Radio-Paris,
placée elle aussi sous le contrôle de l'occupant. Pour son premier numéro, le
journal, destiné, comme le disait la publicité, à "tous ceux qui veulent
connaître les secrets des studios, les programmes radiophoniques complets, les
confidences de nos vedettes", proposait aussi son feuilleton, et tout
naturellement on avait fait appel à Simenon. Pour appâter le chaland, on
accompagnait le lancement du feuilleton par un concours, doté de 50'000 francs
de prix, dont nous ne connaissons pas les détails, mais où il s'agissait de
répondre à la question: "Quel âge donnez-vous au commissaire Maigret ?".
Finalement, ce ne sera pas ce roman-là qui
sera adapté, mais trois autres. En effet, Simenon, par un contrat signé en
1942, cède à la Continental l'exclusivité du personnage de Maigret pour trois
ans; et pour la somme de 500 000 francs, la firme prend une option sur les
droits de trois romans: Cécile est morte,
La maison du juge et Maigret. Et,
pour finir, ce sera Signé Picpus qui
connaîtra le premier une vie sur pellicule…
Le tournage débute en novembre 1942, et le
film sortira en février 1943, sous le titre Picpus.
Dans le rôle du commissaire, un acteur inattendu: Albert Préjean, qui, s'il a
plus ou moins l'âge du rôle (il est né en 1894), est plutôt connu pour avoir
joué les jeunes premiers et le "chanteur de charme" dans des films de
la décennie précédente… Bondissant et virevoltant, on a de la peine à
l'assimiler au massif commissaire, comme le dit Maigret lui-même, par la plume
de son créateur: "un certain Préjean, à qui je n'ai aucun reproche à faire
[…], mais qui ressemble beaucoup plus à certains jeunes inspecteurs
d'aujourd'hui [Maigret écrit en 1950 !
ndlr] qu'à ceux de ma génération" (in Les mémoires de Maigret). Pour ne rien arranger, on l'affuble d'un
inspecteur Lucas bafouillant, joué par André Gabriello, qui, s'il apporte une
note comique, ressemble encore moins au brigadier tel que le lecteur le
connaît, et le scénario lui-même prend une distance assez importante avec
l'original… Préjean, interviewé à l'époque du tournage pour le journal La Vie parisienne, répond à la question
"Votre Maigret, pourtant, sera moins silencieux et moins bourru que celui
de Simenon ?": "Forcément. Le Maigret tel que l'a décrit l'auteur du Chien Jaune et de Picpus aurait été parfait au temps du cinéma muet. Le cinéma
parlant le rend évidemment plus loquace et plus sympathique." Un point de
vue comme un autre… Les critiques de l'époque, s'ils soulignent la différence
entre Préjean et le personnage de Maigret tel qu'on se l'imagine, saluent tout
de même l'interprétation de l'acteur, et peu s'étonnent des modifications de
l'histoire par rapport à celle de Simenon… A leur décharge, on se demandera
combien l'avaient lue sous la forme du feuilleton qui avait paru en 1941-1942
dans le journal Paris-Soir, puisque
aussi bien, quand le film sortit en salle, le roman n'avait pas encore été
publié dans le recueil de Gallimard, édité en janvier 1944 seulement…
Murielle Wenger
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