Questions à propos de la rédaction du roman Signé Picpus
SIMENON SIMENON. L'ENIGMA PICPUS
Domande a proposito della redazione del romanzo Firmato Picpus
SIMENON SIMENON. THE PICPUS ENIGMA
Questions about the writing of the novel Signed, Picpus
Ce
qu'il y a de fascinant, pour le chercheur simenonien, parmi tant de
choses, ce sont les "petits mystères" qui restent encore non éclaircis,
dans la bio-bibliographie du romancier. Une œuvre aussi prolifique dans
une vie aussi remplie fait qu'il y a encore bien des détails qui n'ont
pas été vérifiés. C'est en particulier le cas pour les romans écrits
avant les années 1950, dont, on le sait, l'auteur n'avait pas établi une
datation scrupuleuse. Plusieurs simenologues ont tenté d'établir une
chronologie de rédaction, mais il reste, encore aujourd'hui, des énigmes
non résolues. Claude Menguy et Pierre Deligny, les premiers, s'étaient
attelés à la tâche, et leur "chronologie rédactionnelle", publiée dans
les Cahiers des Amis de Simenon en 1996, reste encore une base de
travail, même si, depuis, les travaux de Michel Lemoine et Michel Carly
ont pu apporter nombre de corrections. La date et le lieu de rédaction
des romans parus chez Fayard (sans parler des œuvres sous patronymes,
pour lesquelles les incertitudes sont encore plus grandes…) et chez
Gallimard sont difficiles à établir, car les manuscrits de ces romans
ont disparu, détruits par l'auteur lui-même ou vendus à certaines
occasions. Les autres documents sur lesquels s'appuyer ne sont pas
toujours fiables, car certaines listes ont été établies "après coup",
Simenon se fiant à sa mémoire, qui, on le sait, ne s'occupait pas
beaucoup de datation, et il lui arrivait souvent de faire des confusions
entre les mois et les années, comme il l'avouait lui-même dans ses
Dictées, ou dans la correspondance qu'il échangeait avec Menguy et
Deligny.
Nous aimerions vous présenter aujourd'hui un exemple de
ces énigmes rédactionnelles pour lesquelles il y aurait encore une
enquête à mener. La date finale de rédaction du roman Signé Picpus est
soit l'été 1941, d'après la liste secrétariale de Simenon, dont on sait,
dixit Menguy, qu'elle n'est pas fiable jusqu'à la fin de la guerre;
soit juin 1941, d'après le livre de comptes (un registre constitué d'une
liste de romans et des sommes perçues pour ceux-ci), qui comporte lui
aussi des erreurs.
Il revient à Michel Carly d'avoir le premier
retrouvé une information fort intéressante sur ce roman, et dont il fait
part dans son livre Simenon, les années secrètes: le 18 novembre 1941,
les lecteurs du journal Paris-Soir découvraient en première page un
encart, dans lequel on leur proposait de collaborer au prochain roman de
Simenon, dont on connaissait déjà le titre: Signé Picpus ou La grande
colère de Maigret. Le journal allait présenter, du 21 au 26 novembre,
trente personnages, parmi lesquels les lecteurs devraient choisir quinze
protagonistes pour le futur roman. Le 28 novembre, ils pouvaient
remplir un bulletin de vote, et dès le 5 décembre paraissait la liste
des personnages choisis. Le 11 décembre, le feuilleton commençait… Quand
on voit la liste, on se rend compte que Simenon s'était, bien entendu,
réservé le droit de quelques adaptations…
Faut-il imaginer que
Simenon a vraiment attendu ce choix des lecteurs pour commencer son
roman ? Même en connaissant la rapidité avec lequel il travaillait, on
conserve quelques doutes… et on peut se demander si Peter Foord
(http://www.trussel.com/maig/momsig.htm) n'avait pas raison, en
affirmant que le journal avait déjà, en lançant le concours, le
manuscrit en sa possession, et que cette "collaboration" des lecteurs
n'était en fait qu'une opération publicitaire… A moins, autre hypothèse,
que Simenon ait déjà eu au moins une trame en tête à cette date, et
qu'il ait terminé son texte en fonction du résultat du vote des
lecteurs…
Quoi qu'il en soit, si la rédaction a eu lieu en juin,
c'est forcément dans la deuxième moitié du mois, car, en date du 12
juin, le romancier était en train d'écrire l'avant-dernier chapitre de
Je me souviens (première mouture de Pedigree), et on voit mal Simenon
mener de front cette rédaction de souvenirs et un roman au ton aussi
léger que celui de Signé Picpus… D'autre part, en date du 14 juin, les
journaux annonçaient l'attribution du Prix Mérimée (récompensant
l'auteur d'une nouvelle), et Simenon avait fait partie du jury. On est
en droit d'imaginer qu'il s'est rendu à Paris autour de cette date, pour
les délibérations et peut-être la cérémonie de remise du prix. D'un
autre côté, si la rédaction a vraiment en lieu seulement en novembre,
il
est difficile de croire que celle-ci ait entièrement été faite à cette
période: en effet, en décembre 1941, Simenon achevait la première partie
de Pedigree, ce qui veut dire qu'il y travaillait déjà bien avant
(Gide, dans une lettre de septembre, évoquait déjà cette œuvre), et, là
aussi, on voit mal le romancier s'atteler à son œuvre "matricielle" en
même temps qu'il complète Signé Picpus…
Alors, que déduire de
tout cela ? En l'absence du manuscrit, lui aussi disparu, ou, plus
exactement, vendu, selon la formule, "aux enchères au profit des
prisonniers de guerre, à l'initiative de l'auteur en 1943", et à moins
que son acquéreur se manifeste un jour, il sera difficile de savoir ce
qu'il en est réellement, sauf si on retrouvait, dans quelque recoin
d'archives, une information plus précise (telle une lettre inédite, par
exemple). A notre connaissance, il existerait, au Fonds Simenon, une de
ces fameuses "enveloppes jaunes" à propos de Signé Picpus. Il faudrait
pouvoir la consulter pour voir si les informations qui y figurent
recoupent celles de Paris-Soir, et si quelque chose permet d'en faire la
datation. L'enquête continue…
Murielle Wenger
très intéressant
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