Les traces de l'affaire Stavisky dans les romans Maigret
SIMENON SIMENON. L'ERRORE DEL COMMISSARIO SIMENON
Le tracce dell'affare Stavisky nei romanzi Maigret
SIMENON SIMENON. COMMISSAIRE SIMENON'S MISTAKE
Hints of the Stavisky case in the Maigret novels
Comme l'écrit si bien Pierre Assouline, Simenon a été un "grand reporter, mais un petit détective". Si, dans les reportages qu'il a ramenés de ses voyages autour du monde, il a su dépister les faux-semblants sous les dorures du colonialisme, et dénoncer les pièges de l'exotisme, les quelques fois où il s'est essayé au journalisme d'investigation ont montré que n'est pas Rouletabille qui veut…
Nous voulons parler de l'affaire Stavisky, où, selon les dires de ses biographes, Simenon s'est surtout couvert de ridicule. Rappelons brièvement le contexte de cette histoire. En décembre 1933, une retentissante affaire d'escroquerie éclate, dans laquelle est impliqué un certain Alexandre Stavisky, qui a déjà derrière lui un passé scabreux. Au moment où le pot aux roses est découvert, Stavisky s'est enfui, et au début janvier 1934, les gros titres de la presse réclament une enquête, car on suppute des complicités dans les hautes sphères de la politique. On finit par retrouver Stavisky, mais c'est sur un cadavre que bute la police. La thèse officielle est qu'il y a eu suicide, néanmoins personne ne veut y croire. Déchaînement de la presse, démission du gouvernement en place, puis émeutes du 6 au 9 février, qui se soldent par une quinzaine de morts. Le 20 février, on retrouve le corps d'Albert Prince sur une voie ferrée, près de Dijon. Prince était un magistrat chargé de rédiger un rapport sur Stavisky. Accident ? Suicide ? Meurtre ? Tandis que le Quai des Orfèvres enquête de son côté, Jean Prouvost, directeur du journal Paris-Soir, décide que la presse doit aussi s'occuper de cette affaire. Et à qui confier l'enquête, si ce n'est au plus fin limier alors en vogue ? Pour Prouvost, c'est Maigret qu'il faut convoquer. Alors il appelle Simenon… Comme le dit Assouline, "Simenon relève le défi. Pour la gloire, la publicité, l'argent. Par tempérament et par goût du risque." Après tout, c'est le romancier qui a créé Maigret, ce commissaire à l'intuition si aiguisée, et pourquoi lui, Simenon, ne pourrait-il faire preuve de la même intuition ? Il se lance donc à corps perdu dans l'enquête, et se laisse embobiner dans une histoire de règlements de comptes du Milieu… Le "détective" publie onze articles dans Paris-Soir, "un fatras d'approximations et de conclusions hâtives", dixit Assouline. De son côté, la police a conclu à un assassinat politique, bien que le commissaire Guillaume (eh oui, le "modèle" de Maigret…), lui, ait penché pour la thèse du suicide. Peut-être ne saura-t-on jamais la vérité, mais ce qui est sûr, c'est que Simenon ne s'est pas couvert de gloire dans cette aventure… Ce n'est donc pas étonnant si le romancier ne fait que quelques très brèves allusions à cet épisode dans ses textes autobiographiques, et qu'il n'en a pas tiré matière à roman. Encore que… nous allons voir qu'il est resté quelques traces de cette histoire dans des romans Maigret.
L'allusion la plus explicite se trouve dans Maigret chez le coroner, écrit quinze ans après les faits. L'enquête de ce roman tourne autour d'une histoire de cadavre découvert sur une voie ferrée, et ce contexte amène tout naturellement à rappeler l'affaire de Dijon. C'est Harry Cole, le gars du FBI, qui dit à Maigret: "Vous avez eu une affaire de ce genre-là en France, n'est-ce pas ? Un magistrat qui a été trouvé mort sur une voie de chemin de fer. Comment l'appelait-on ? - Prince ! grommela Maigret avec humeur. [..] - Comment s'est-elle terminée ? - Cela ne s'est jamais terminé. - Vous avez votre idée ? Il l'avait, mais il préférait ne pas la dire, car son opinion sur l'affaire lui avait valu assez d'ennuis et d'attaques d'une partie de la presse." Etrange transfert, de la part du romancier, de son propre vécu à celui de son héros. Mais une façon de faire qu'on retrouve plusieurs fois au cours de la saga…
On peut également se demander si la "disgrâce" dont Maigret fait l'objet dans La maison du juge, et qui le contraint à l'exil forcé en Vendée, est une allusion discrète à l'affaire Stavisky. Rien dans le texte n'est explicitement dit à ce propos, et on devra attendre le roman Maigret chez le ministre, qui traite justement d'une affaire sur les dessous de la politique, pour retrouver une allusion à l'exil de Luçon. Il y est dit que le commissaire, avait dû passer en conseil de discipline, suite à une "affaire politique" dans laquelle il "avait agi exactement comme il devait le faire, s'était conduit, non seulement en honnête homme, mais selon son strict devoir de fonctionnaire". Même si bien plus tard, dans l'antépénultième roman de la saga (Maigret et l'homme tout seul), le romancier raconte que c'est au cours de la deuxième guerre mondiale que Maigret a été exilé en Vendée (comme Simenon lui-même avait alors vécu un "exil vendéen" à la même période…), rien ne nous empêche d'imaginer que c'est bien à l'affaire Stavisky que le romancier pensait lorsqu'il écrivit La maison du juge en janvier 1940, soit six ans après les événements…
Murielle Wenger
Gli articoli apparvero tra fine marzo e inizio aprile del 1934
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