Le commissaire et le monde de l'enfance: ses rencontres avec les petits
SIMENON SIMENON. MAIGRET E I BAMBINI /2
Il commissario e il mondo dell'infanzia: i suoi incontri con i più piccoli
SIMENON SIMENON. MAIGRET AND CHILDREN /2
The Chief Inspector and the world of childhood: his encounters with the little ones
Dans un billet récent, nous avons vu comment Simenon a fait de Maigret un père sans enfant, ce qui a eu des conséquences sur sa façon de mener ses enquêtes. Mais le romancier est allé plus loin: il a aussi doté le commissaire d'une grande nostalgie du monde de l'enfance, lui donnant des sentiments et des sensations fort proches de celles qu'il a pu éprouver pendant sa jeunesse: ainsi, on le voit tirer la langue pour happer les gouttes de pluie ou les flocons de neige, s'enfoncer au plus profond de ses draps lorsqu'il est grippé et retrouver le goût de la crème au caramel que lui préparait sa mère, ou se demander, dans Mon ami Maigret: "A présent, il était une grande personne, tout le monde le croyait, et il n'y avait que lui, de temps en temps, à s'en convaincre difficilement", ou encore, dans Maigret et la vieille dame, regretter que le monde ne soit plus "comme sur les images" d'un album pour enfants… C'est particulièrement avec les enfants de chœur qu'il rencontre qu'il retrouve ses souvenirs d'enfance, ce qui lui permet de les comprendre d'autant mieux lorsqu'ils sont mis en cause dans une enquête: voir Ernest dans L'affaire Saint-Fiacre ou Justin dans Le témoignage de l'enfant de chœur.
Cette sensibilité de Maigret aux enfants, on la voit aussi à l'œuvre dans L'écluse no 1, lorsque le commissaire se rend sur la péniche et voit Aline Gassin allaiter son bébé. Malgré sa gêne et sa maladresse lors de cette scène, Maigret n'en est pas moins assez observateur pour se rendre compte que les gestes d'Aline sont bien ceux d'une maman, et que l'enfant est bien le sien… Même attention aux enfants dans Maigret et le client du samedi, où le commissaire, bien qu'il ait eu l'envie de questionner la fille de Planchon, se refuse à le faire, car, nous dit le romancier, "sauf en cas de stricte nécessité, Maigret répugnait à interroger les enfants". De même, dans Maigret aux assises, c'est en pensant au fait que Meurant désirait tellement avoir un enfant que Maigret en tire la conclusion que celui-ci ne peut pas avoir délibérément étouffé la petite fille qui a été tuée en même temps que Léontine Faverges.
Il est cependant un roman dans lequel Maigret a eu directement affaire à des enfants, dont la présence forme le fond de l'intrigue: nous voulons parler de Maigret à l'école. Si, au départ, Maigret accepte de se rendre à Saint-André pour un motif peu avouable, qui est le souvenir du vin blanc et des huîtres dégustées autrefois (et là aussi, on pourrait presque dire que le commissaire cède, en quelque sorte, à une impulsion presque enfantine…), il sera bientôt pris par cette "histoire de gosses", retrouvant des souvenirs de sa propre enfance, et en même temps, tentant de pénétrer, avec délicatesse, dans ce monde enfantin qu'il a quitté depuis si longtemps… Sa façon de questionner les enfants en cause montre encore une fois sa sensibilité dans une telle situation: lorsqu'il questionne Jean-Paul pour la première fois, et que celui-ci se montre plutôt récalcitrant, le romancier nous dit que si Maigret "avait eu un adulte devant lui, il se serait probablement mis en colère"; naturellement, le commissaire n'en fait rien et se montre particulièrement patient. De même avec Marcel, Maigret parle "d'une voix calme, encourageante", bien qu'il doive déjà sentir que l'enfant ne lui dit pas toute la vérité. Voir aussi comment il se reproche presque de poursuivre Jean-Paul quand celui-ci le fuit après l'enterrement de Léonie: "Le commissaire avait honte d'insister, se faisait l'effet d'une grosse brute s'acharnant sur un être sans défense." Un peu plus loin, le romancier note encore: "Avec un adulte, cela aurait été plus facile, Il y avait longtemps que Maigret n'était plus un enfant. Il n'avait ni fils, ni fille. Il lui fallait pourtant s'efforcer de penser comme son jeune interlocuteur." Et dans cette scène, Maigret va avancer à petit pas, tentant d'apprivoiser Jean-Paul. C'est la même délicatesse dont il usera lors de l'interrogatoire de Joseph, ce qui permettra d'atteindre à la vérité, sans devoir pousser l'enfant dans ses derniers retranchements. Dans toutes ces scènes, Maigret a montré patience et délicatesse, dont on ne peut dire qu'on le pensait dépourvu, mais, en raison des circonstances particulières, nous découvrons ainsi une nouvelle facette du commissaire.
Murielle Wenger
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