Quelques pistes de réflexion sur le choix du prénom du commissaire
SIMENON SIMENON, MAIGRET, JOSEPH O JULES ?
Alcuni spunti di riflessione sulla scelta del nome del commissario
SIMENON SIMENON. MAIGRET, JOSEPH OR JULES?
Some thoughts about the choice of the Chief Inspector's first name
Aujourd'hui, il ne viendrait à aucun maigretphile l'idée de remettre en question que le prénom de notre commissaire soit Jules. D'autant plus que ce prénom a été en quelque sorte "officialisé" par son créateur, dans son texte La naissance de Maigret, qui débute ainsi: "Pourquoi Jules-Amédée-François Maigret, commissaire divisionnaire de la Police judiciaire et chef de la Brigade criminelle, quai des Orfèvres à Paris, Français cent pour cent, est-il né dans le port de Delfzijl". On ne peut donc douter que pour Simenon lui-même, son personnage était bien prénommé Jules. Il lui avait déjà donné cette triade de prénoms dans le roman qui racontait ses débuts dans la police, La première enquête de Maigret.
Cependant, il faut noter que la première fois que ce prénom lui est attribué, c'est dans Maigret se fâche. Jusque-là, que ce soit dans les romans écrits pour Fayard ou ceux pour Gallimard, le commissaire n'a jamais été prénommé… à l'exception d'un seul cas. En effet, dans L'écluse no 1, Ducrau, lorsqu'il propose à Maigret (qui est sur le point de partir à la retraite) de travailler pour lui, dicte une formule de contrat. Dans toutes les éditions de ce roman (je n'ai pu cependant contrôler dans l'édition originale), le texte est ainsi libellé: "Entre les soussignés Emile Ducrau et Maigret... Prénom ? ... et Maigret (Joseph), il a été convenu ce qui suit. A partir du 18 mars, M. Joseph Maigret entre au service de..."
Peut-être un peu "choqués" par l'apparition de ce prénom inhabituel, les éditeurs ont jugé bon de mettre celui-ci entre parenthèses, comme pour marquer qu'il devait s'agit d'une erreur… Mais on ne peut pas vraiment dire qu'il en soit ainsi, puisque c'est bien le premier prénom qui a été donné au commissaire. Dans la version parue en préoriginale dans le journal Paris-Soir, le prénom n'est pas mis entre parenthèses. A noter que dans Le revolver de Maigret, Simenon affuble Maigret d'une autre triade de prénoms, Jules-Joseph-Anthelme, et qu'on y retrouve donc le fameux "Joseph" des origines…
Comme l'écrit Michel Lemoine (in Georges Simenon, Parcours d'un écrivain belge), "Chacun admettant aujourd'hui qu'il se prénomme Jules et plus personne ne pensant à Joseph, force est de constater que la fréquence de Jules a eu raison de l'antériorité de Joseph." En effet, dès après Maigret se fâche, le prénom du commissaire, Jules, sera mentionné dans douze autres romans. A part dans La première enquête de Maigret, on le trouve encore dans Maigret chez le coroner, Maigret, Lognon et les gangsters, Le revolver de Maigret, Maigret a peur, Maigret chez le ministre, Maigret et le corps sans tête, Un échec de Maigret, Maigret aux assises, Maigret et l'affaire Nahour, L'ami d'enfance de Maigret, ainsi que dans Les mémoires de Maigret, où le commissaire évoque les déboires que ce prénom lui a valu, un prénom, écrit-il, qu'il n'aurait "pas choisi si on [lui] avait demandé son opinion"…
Pour revenir à notre question de départ, pourquoi Maigret a-t-il fini par se prénommer Jules, alors qu'il aurait pu continuer à s'appeler Joseph… On n'a, encore aujourd'hui, aucune certitude sur la raison pour laquelle son patronyme a été choisi par Simenon, qui dit l'avoir baptisé "Maigret" un peu par hasard. De nombreux chercheurs simoniens se sont penchés sur la question. Ils ont découvert qu'un certain Arnold Maigret était agent de police à Liège, mais aussi qu'un certain Jules Castadot faisait partie de la brigade de la Sûreté liégeoise, et que tous les deux étaient en exercice au temps où le petit Sim travaillait à la Gazette de Liège et couvrait les fait divers. On n'a aucune preuve que Simenon ait connu l'un ou l'autre de ces deux hommes, mais l'hypothèse Jules (Castadot) + (Arnold) Maigret est séduisante… D'autres ont évoqué Julien Maigret, un ancien colonial qui, dans les années 1930, était une voix connue de la radio. Et que dire du voisin de Simenon au temps de la place des Vosges, un docteur qui s'appelait Paul Maigret, et du commissaire de police liégeois Jean-Joseph de Saint-Hubert, que Simenon enfant rencontrait quand il allait se baigner dans la Meuse avec son grand-père ?...
Et puis, a-t-on pensé au fait que le deuxième prénom de Simenon est justement Joseph ? Le commissaire n'est-il pas, du moins en partie, l'alter ego dont son créateur enviait plusieurs des qualités ?... Joseph est d'ailleurs aussi le deuxième prénom de Désiré, le père si admiré du romancier…
Alors, pourquoi Maigret n'a-t-il pas gardé ce prénom de Joseph ? Et si l'on cherchait une explication à l'intérieur même des textes de la saga maigretienne ? En recensant les prénoms des personnages dans celle-ci, on s'aperçoit que Joseph est le prénom masculin le plus fréquemment employé, et qu'il est porté par plusieurs protagonistes importants. Simenon a peut-être pensé que son héros avait droit à un prénom moins usité: en effet, même si le prénom "Jules" apparaît assez souvent dans la saga, c'est surtout pour des personnages secondaires, voire épisodiques. A part quelques garçons de café et patrons de bistrot, et Jules Piquemal dans Maigret chez le ministre, le seul personnage important qui porte ce prénom est Jules Lapie dans Félicie est là. Et c'est ainsi que nous proposons notre propre hypothèse d'explication, qui à notre avis en vaut une autre. Dans ce roman, Maigret, qui cherche à se mettre dans la peau de Lapie, se coule littéralement dans le personnage: "il tend enfin le bras pour saisir et poser sur sa tête le chapeau de paille à large bord" de Lapie, puis il se rend dans le jardin et se prend à rêver: "Maigret ne peut s'empêcher de penser qu'un jour il sera à la retraite, lui aussi, il aura une petite maison à la campagne, un jardin, un vaste chapeau de paille…" Or, quand on le retrouve, dans Maigret se fâche, à la retraite, il est, au début du roman, dans son jardin, "coiffé de son immense chapeau de paille". Et n'est-ce pas justement dans ce roman-ci qu'il reçoit son prénom de Jules, comme Lapie ?...
Murielle Wenger
Maigret est aussi surnomé Arthur dans la guinguette à deux sous
RispondiElimina