Contexte de rédaction de "Lettre à ma mère", et son évocation à travers les "Dictées"
SIMENON SIMENON. UNA DOLOROSA LETTERA A LA SUA MADRE
Contesto di scrittura di "Lettera a mia madre", e la sua evocazione attraverso le "Dictées"
SIMENON SIMENON. A PAINFUL LETTER TO HIS MOTHER
Writing context of "Letter to My Mother" and its evocation through the "Dictées"
C'est l'histoire d'un petit garçon qui ne s'est pas senti aimé par sa mère… Toute sa vie, il a voulu lui prouver qu'il était capable… capable de gagner sa vie, capable de vivre de sa plume, capable de faire de grandes choses… Mais sa mère, jusqu'à la fin, n'a pas cru en lui… Un jour de décembre 1970, quand elle meurt, elle a plus de 90 ans. Le petit garçon a alors 67 ans, et, il ne le sait pas encore, il va bientôt cesser d'écrire des romans, comme s'il n'avait plus rien à prouver à sa mère, puisque celle-ci n'est plus là…
Trois ans plus tard, le romancier, qui a cessé d'en être un, s'offre un magnétophone et commence à dicter, menus faits quotidiens, jugements à l'emporte-pièce, souvenirs égrenés. La matière va bientôt former un livre, un premier volume de Dictées, qui portera le titre de Un homme comme un autre. Mais, à peine les bobines envoyées à sa secrétaire, le voilà qui reprend déjà son magnétophone, et commence une nouvelle série de "bavardages", parce que, comme il le dit lui-même, c'est devenu un besoin pour lui.
Quand il commence, le 17 septembre 1973, la nouvelle bobine de ce qui deviendra la deuxième dictée, Des traces de pas, il a déjà en tête une autre idée: il aimerait dicter une Lettre à ma mère. Comment ce désir lui est-il venu ? Les souvenirs qu'il a remués depuis six mois dans les mots qu'il dicte ? Ou le rappel de l'"échec" du 18 septembre 1972 (soit presque exactement une année auparavant…), date fatidique du matin où le déclic de l'écriture ne s'est pas produit ?
On ne le sait pas, mais, ce qui est sûr, c'est que la dictée de cette lettre ne sera pas pour tout de suite, comme si Simenon devait encore laisser mûrir ses réflexions et ses sentiments vis-à-vis de sa mère… Quand, le 30 mars 1974, il clôt sa deuxième série de dictées, il dit: "j'ai hâte de dicter un volume dont je ne connais que le titre: Lettre à ma mère. Qu'est-ce que ce titre couvrira ? Je n'en sais rien. Depuis que je n'écris plus de romans, je me sens entièrement libre et je vais et viens dans le passé et le présent".
Le surlendemain, 1er avril, il commence une nouvelle série au magnétophone, de ce qui sera par la suite le volume Les petits hommes, et il termine sa dictée du jour en citant ce que lui a dit Teresa: "Le langage ne set qu'à créer des malentendus. Il vaudrait mieux se regarder simplement les yeux dans les yeux." Des paroles prémonitoires ? Simenon reste alors plus de quinze jours sans parler dans le micro de son magnétophone, puis, le 18 avril, il se lance enfin, et dicte ces mots: "Ma chère maman, Voilà trois ans et demi que tu es morte […], et c'est seulement maintenant que, peut-être, je commence à te connaître.". C'est le début de sa lettre à sa mère, dans laquelle il va essayer de cerner la relation qui l'unit à elle, dans une douloureuse introspection, avec des mots terribles, mais qu'on sent criants de vérité, de la vérité telle que le petit Georges l'a vécue dans sa relation avec sa mère: "Nous ne nous sommes jamais aimés de ton vivant, tu le sais bien. Tous les deux, nous avons fait semblant. Aujourd'hui, je crois que chacun se faisait de l'autre une image inexacte." Et c'est cette image que Simenon va essayer de revoir, en revisitant le portrait qu'il avait fait elle dans Pedigree: "je t'ai décrite sous le prénom d'Elise. Je me rends compte maintenant que le portrait assez fouillé que j'ai fait de toi n'était pas exact. […] Aujourd'hui, c'est la vraie Henriette dont je voudrais trouver l'âme. […] c'est pour effacer les idées fausses que j'ai pu me faire sur toi, pour pénétrer la vérité de ton être et pour t'aimer, […] que je rassemble des bribes de souvenirs et que je réfléchis. […] Vois-tu, mère, tu es un des êtres les plus complexes que j'aie rencontrés."
Quand il reprend son micro, le 19 juin, il vient de terminer la révision de ses deux premiers volumes de Dictées, et évoque aussi cette lettre à sa mère, dont la dictée, dit-il l'a "particulièrement épuisé. Depuis, j'attends de me sentir assez vaillant pour revoir Lettre à mère." Le simple fait d'en parler est semble-t-il suffisant, puisqu'il s'attelle à cette révision le jour même, puis reprend son micro pour dire: "Je suis bouleversé. Je n'aurais pas pu attendre plus longtemps avant de le revoir, et, en quelque sorte, de m'en purger l'esprit. […] Je crois que maintenant je vais me sentir allégé."
Est-ce que d'avoir fait cette introspection va permettre à Simenon d'approcher d'une certaine sérénité ? Si les derniers mots dictés le 19 juin sont "Cette journée-ci a probablement été la journée la plus émouvante, pour ne pas dire déchirante", on peut se dire que ce "déchirement" a été nécessaire, pour parvenir, sinon à la sérénité, du moins à un certain détachement vis-à-vis de ce sujet. En novembre 1974, dans les premières pages de la dictée Vent du nord, vent du sud, Simenon évoque Lettre à ma mère, et les heures qu'il a passées auprès d'elle, dans sa chambre d'hôpital où elle se mourait: "c'est alors que j'ai cru la comprendre, me comprendre." Puis, quelques jours plus tard: "après avoir dicté ce tout petit livre, que j'ai porté en moi, à mon insu, pendant plusieurs années, j'ai été deux fois malade. Malade, sans doute, d'avoir découvert que je n'étais pas l'homme que j'avais cru être, malade de savoir aussi que ma mère n'avait jamais été qu'une femme, une très humble femme désaxée dès ses débuts dans la vie et qui aurait mérité davantage ma tendresse et ma pitié qu'une certaine indifférence ou une certaine rancune."
Alors, les comptes sont-il réglés dorénavant entre le petit Georges et sa mère ? Si tant est que de tels comptes puissent jamais se régler, on pourra noter que Lettre à ma mère n'est plus qu'épisodiquement mentionné dans les dictées à venir, et Simenon n'en parle même pas dans ses Mémoires intimes… Il est vrai que ce dernier écrit peut être considéré comme une longue "lettre à sa fille"…
Murielle Wenger
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