sabato 30 marzo 2019

SIMENON SIMENON. QUAND UN ROMANCIER RENCONTRA UN COMMISSAIRE…

Une autre version de la «légende de Delfzijl» 

SIMENON SIMENON. QUANDO UN ROMANZIERE INCONTRO UN COMMISSARIO… 
Un' altra versione della «leggenda di Delfzijl» 
SIMENON SIMENON. WHEN A NOVELIST MET A CHIEF INSPECTOR... 
Another version of the "Delfzijl legend"


Il alla chercher sa valise à l'hôtel, puis il se dirigea vers la gare. Son train ne partait que dans trois quarts d'heure. Comme il n'avait aucune envie de patienter sur le quai venteux ou dans la salle d'attente surchauffée, il traversa la rue pour se rendre au café. Il poussa la porte, qui résista. Il allait insister quand il remarqua, à travers la vitre, que la salle était obscure et semblait vide. Il pensa que ce devait être le jour de fermeture, et, désappointé, il partit à grands pas en direction du canal.  
Il s'arrêta devant le chantier où on réparait un grand bateau. Son regard, qui errait sur les billes de bois flottant, accrocha une image inhabituelle: à une dizaine de mètres de là, d'une barge qu'il avait cru abandonnée, s'échappaient des volutes de fumée bleue. Il perçut aussi un crépitement dont il ne parvint pas à déceler l'origineIntrigué, il s'approchaassis sur une caisse, la pipe au bec, une bouteille d'alcool à son côté, un homme tapait à toute vitesse sur une machine à écrire. Les regards se croisèrent, et un même étonnement se lut dans les deux paires d'yeuxL'homme du bateau lui fit signe d'approcher, et comme l'homme au bord du canal hésitait, il lui tendit la main pour l'aider à monter sur la barge, qui se mit à tanguer sous le poids des deux hommes. 
Le nouveau venu jeta un coup d'œil à la bouteille, et l'autre sourit: 
- C'est du genièvre, dit-il. Vous êtes Français ? 
- Oui, et vous ? 
- Je suis Belge. 
- Comment se fait-il que vous soyez installé ici ? Ce n'est pas un endroit très confortable pour écrire… 
- Vous voyez le bateau qu'on est en train de réparer, là-bas ? Il est à moi. D'habitude, c'est là que j'écris, mais comme les travaux sont trop bruyants, je suis venu ici pour travailler. 
- Vous êtes écrivain ? 
- Non, romancier. Enfin, je veux devenir romancier. Pour le moment, je m'essaie, je cherche, je tâtonne… 
- C'est difficile ? 
- Assez, mais je crois que je vais y arriver.  
- Et qu'est-ce que vous écrivez ? 
- Oh, jusqu'à présent, j'ai écrit beaucoup de petits romans, des contes, enfin, de la littérature alimentaire… Mais j'aimerais passer à l'étape suivante. Je cherche un personnage qui me serve de fil rouge. J'ai écrit il y a quelques semaines un roman dont le héros est une sorte de détective amateur. Je croyais tenir quelque chose, mais ce n'est pas encore ça… 
Il fit une grimace de dépit; il était à la fois drôle et touchant, et son visiteur se retint pour ne pas sourire. L'autre reprit: 
- Non, je crois qu'il faut que je trouve autre chose… J'ai bien pensé à un roman policier, parce que c'est à la mode… 
Il s'interrompit en voyant la mine renfrognée que prenait son visiteur.  
- Vous pensez que ce n'est pas une bonne idée ?  
L'autre prenait un air de plus en plus bougon, et, grognant un vague salut, il s'apprêta à quitter la barge.  
- Attendez, je vous en prie, ne partez pas comme ça. Vous ne voulez pas prendre un verre avec moi ?  
On ne pouvait résister devant tant de bonne volonté sympathique. L'alcool brûlait un peu la gorgeIl offrit à son visiteur une caisse, sur laquelle celui-ci s'installa avec précaution. Puis son hôte lui montra les feuillets empilés à côté de la machine à écrire.  
- En ce moment, j'essaie un nouveau personnage. C'est un policier. Il travaille au Quai des Orfèvres.  
Sans s'apercevoir que son interlocuteur reprenait un air maussade, il se saisit d'un feuillet de la pile, et en commença la lecture à haute voix: «L'événement en lui-même surprit à peine le commissaire Maigret.»…  
Cette fois, son visiteur se leva d'un bond, manquant de faire chavirer la barge. L'autre retint la machine à écrire, qui était en train de glisser de la caisse où elle était posée, et leva vers son visiteur un regard surpris. Celui-ci grommela: 
- Je m'appelle Maigret… 
- Ça, pour une coïncidence !... 
- Et je suis commissaire de police… 
L'autre en resta bouche bée. Après quelques secondes de silence, il éclata de rire. Son rire était si communicatif que son visiteur perdit son attitude revêche, et il rit à son tour. Puis il reprit son sérieux pour demander: 
- J'espère que vous ne racontez pas des choses invraisemblables, dans votre bouquin… 
- C'est-à-dire… j'invente un peu… enfin, beaucoup… je ne connais pas vraiment bien le monde de la police… 
Maigret eut un haussement d'épaules. Il se saisit de la bouteille, se resservit un verre de genièvre, puis il dit: 
Montrez-moi votre histoire… 
Le visage du futur romancier s'éclaira. 
- Vous voulez bien ?  
Les minutes passèrent. On n'entendait plus que les marteaux du chantier et le crissement des feuillets que le commissaire tenait à la main. La lecture dura longtemps, tandis que son hôte le suivait d'un regard anxieux. Enfin, Maigret posa en soupirant le dernier feuillet sur la pile. Il ne dit rien, ralluma sa pipe en laissant errer son regard sur le canal. Il voulut se servir un autre verre, s'aperçut que la bouteille était vide. 
- Vous n'avez rien d'autre à boire ? demanda-t-il d'un ton bourru. 
Son hôte sourit. 
- Non, je n'ai plus rien. Mais si vous voulez, nous pouvons nous rendre en face...  
Les deux hommes quittèrent la barge, traversèrent le chantier et poussèrent la porte d'un petit établissement qui ressemblait à peine à un café. Ils s'installèrent à une table, et le patron leur servit d'office un cruchon de grès, rempli à ras bord de genièvre parfuméAprès avoir bu deux verres, Maigret commença: 
- Voyez-vous, ce qui est difficile, dans notre métier… 
Quand le crépuscule tomba sur le canal presque endormi, un train emportait vers la France le commissaire Maigret, tandis que son compagnon rejoignait pensivement la barge. Il y monta, s'assit sur une caisse, puis resta de longues minutes immobile. Enfin, il alluma une pipe, prit un nouveau feuillet. Ses doigts effleurèrent le clavier, puis, très vite, de plus en plus vite, les mots s'imprimèrent sur le papier blanc: «Le commissaire Maigret, de la première Brigade mobile, leva la tête, eut l'impression que le ronflement du poêle de fonte planté au milieu de son bureau…» 

Murielle Wenger 

Si vous voulez être du voyage à Delfzijl, organisé par l'association "Les Amis de Georges Simenon", les 4 et 5 septembre 2019, écrivez à cette adresse: amis.de.gs@gmail.com 

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